Après la déforestation, quand la forêt repousse par régénération naturelle ou par plantation

Le Chili et l’Uruguay basent le développement de leurs forêts sur les plantations
Le Chili et l’Uruguay basent le développement de leurs forêts sur les plantations (crédit photo: Christophe Orazio)
Après la déforestation, quand la forêt repousse par régénération naturelle ou par plantation

La forêt peut-elle regagner du terrain après la déforestation, et comment ? Quid de ses écosystèmes et de la biodiversité ? De ses fonctions socio-économiques ? En Amérique latine, forêts tropicales secondaires et plantations forestières apportent une variété d’approches.

 

La forêt peut succéder à la déforestation et signer son retour, par régénération naturelle ou par plantation. Dans le premier cas, des chercheurs ont investigué la biodiversité de massifs « néotropicaux ». Dans le second, l’Institut européen des forêts (EFI-Bordeaux) s’est intéressé à la dimension socio-économique.

Comment les forêts tropicales se régénèrent après la déforestation

Quelque 53 000 espèces différentes d’arbres couvrent les forêts tropicales. Des forêts anciennes ont disparu au fil des ans, à mesure que les sols étaient convertis en terres agricoles ou d’élevage. Il arrive que ces cultures elles-mêmes soient abandonnées et que des forêts y fassent à nouveau leur apparition. Ces forêts « secondaires », à régénération naturelle, constituent plus de la moitié des forêts tropicales.

Des travaux menés par une équipe internationale de scientifiques, conduite par l’université néerlandaise de Wageningen, et à laquelle ont participé deux chercheurs du CNRS et du Muséum national d’histoire naturelle, ont cherché à évaluer le potentiel de conservation de la biodiversité des forêts tropicales secondaires, en particulier en Amérique latine, dont l’Amazonie. Leurs travaux sont l’objet d’une publication dans la revue Science Advances.

Une cinquantaine d’années versus plusieurs siècles

Une cinquantaine d’années seulement sont nécessaires pour retrouver un nombre d’espèces équivalent à celui d’une forêt ancienne. Cependant, des siècles sont indispensables pour recouvrer une composition semblable à celle des forêts anciennes (la composition porte, entre autres, sur l’abondance relative d’une espèce).

L’étude a porté sur 56 sites qui ont connu des périodes de rupture variables dans l’usage des sols. Pour 45 d’entre eux, des données forestières anciennes étaient disponibles, ce qui a permis d’étudier le temps de récupération, soit le temps nécessaire du passage d’un état à un autre. Les scientifiques à l’origine de cette étude ont travaillé sur des sites dont la couverture forestière moyenne s’élèvent à 76 %. Ils constatent que la régénération naturelle est efficace, en termes de maintien de la biodiversité des arbres.

Les chercheurs émettent une recommandation :

« Les politiques de conservation et les efforts de restauration devraient maintenir à la fois les forêts secondaires et celles anciennes dans le paysage, afin d’accroître le potentiel de conservation de la biodiversité des forêts secondaires et, par conséquent, celui de l’ensemble du paysage. »

Les scientifiques concluent prudemment que des siècles sont indispensables au rétablissement de la composition des espèces.

Des plantations pour développer le secteur forestier

Les forêts qui émergent après une étape de déforestation peuvent aussi consister en des forêts plantées. C’est ce que rappelle une récente note de l’EFI, qui radiographie les secteurs forestiers du Chili et de l’Uruguay, suite à une mission co-organisée par Misso (Groupama) et Interco, agence de développement international de la région Nouvelle-Aquitaine.

Au Chili, un reboisement par des compagnies forestières

Le Chili recèle une jeune forêt industrielle, plantée pour suppléer une surexploitation de la ressource forestière et l’érosion des sols causée par la coupe de forêts primaires visant à favoriser l’agriculture.

Trois entreprises privées (Arauco, CMPC et Masisa) possèdent quelque 60 % des forêts plantées du pays, gérées de manière intensive, avec fertilisation notamment. Elles couvrent 2,4 millions d’hectares, alors que les forêts « naturelles » s’étalent sur 14,6 millions d’hectares.

Les forêts cultivées fournissent 99 % du bois récolté dans le pays. Elles se composent de pin radiata (57 %), et d’eucalyptus (35 %). Le matériau participe à la fabrication de cellulose et à la production de bois de construction. Les entreprises exploitantes se soumettent aux certifications PEFC et FSC pour favoriser l’export. La filière représente 8,7 % des exportations du pays, 2 % du PIB national et 1,4 % des emplois.

En raison d’un conflit de propriété et d’usage, l’État chilien a dû opter pour une nouvelle politique de boisement en 2015 et favoriser la conservation des forêts naturelles ; les populations mapuche revendiquent des droits territoriaux.

L’Uruguay mise sur des contrats de gestion forestière

Quant à l’Uruguay, le pays a fait passer son taux de boisement de 4,5 % en 1990 à 10,5 % en 2016. La politique conduite y favorise les plantations forestières, avec des aides et des exemptions d’impôts à l’appui. Des contrats de gestion sont conclus avec les propriétaires terriens et l’administration définit les surfaces prioritaires de reboisement, en fonction de leur moindre intérêt pour l’exploitation agricole.

Le secteur forestier y est moins sujet à la concentration industrielle qu’au Chili. La forêt cultivée gagne du terrain sur l’agriculture, mais « sans empiéter sur les forêts natives », observe l’EFI. Les forêts « naturelles » uruguayennes couvrent 850 000 hectares, contre 1,2 million d’hectares pour les plantations forestières.

Le pays dispose de deux usines de production de pulpe d’une capacité de traitement de 10 millions de m3 de bois certifié PEFC et FSC. Les marchés destinataires sont principalement européen et chinois.

Déforestation à l’échelle globale

À l’échelle globale, la déforestation reste une réalité. Selon l’état des lieux 2018 des forêts dans le monde, produit par la FAO*, la part des terres couvertes par les forêts sur la planète est passée de 31,6 à 30,6 % entre 1990 et 2015. La tendance semble toutefois se ralentir ces dernières années, tandis qu’elle s’observe en particulier en Afrique subsaharienne, en Amérique Latine et en Asie du Sud-Est.

Martine Chartier/Forestopic

* Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

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