Courir le Vendée Globe avec un voilier bas carbone high-tech, intégrant du bois et d’autres fibres biosourcées, c’est le défi que s’est lancé Marc Thiercelin. Il aspire à emmener la filière bois dans son sillage.
Faire le tour du monde en solitaire à bord d’un voilier en bois et autres fibres végétales, c’est le défi que s’est lancé Marc Thiercelin. Le navigateur ambitionne ainsi de courir le Vendée Globe 2028 avec un monocoque alliant nouveaux matériaux et nouvelles technologies.
« Un bateau de course mixte en bois, carbone et fibres naturelles qui fasse le tour du monde, c’est une première mondiale »,
Dans cette course, « la plus dure » qui soit, les skippers ont à parcourir quelque 45 000 km sur les flots, au départ des Sables d’Olonne, lors d’une traversée sans escale et sans assistance. « Les solitaires sont confrontés au froid glacial, aux vagues démesurées et aux ciels pesants qui balayent le grand Sud », décrivent les organisateurs.
Le bolide bas-carbone en projet entre dans la classe dite « Imoca », celle des voiliers participant au Vendée Globe. Il mesure plus de 18 mètres de long, plus de 5 mètres de large, 29 mètres de haut, et peut fendre les airs et les océans à 40 nœuds en pointe (plus de 70 km par heure).
(Crédit de l’animation: Projet Marco Polo)
Un « saut technologique » à accomplir
Pour mener cette aventure, Marc Thiercelin a fédéré des compétences autour de lui. Notamment celles de l’architecte Gildas Plessis, et de son agence GPYD, qui n’est pas novice en la matière. « Nous avons dessiné, ces 30 dernières années, 200 maisons à ossature bois, ainsi que 370 bateaux, dont 70 % en bois contemporain », souligne Gildas Plessis. Dans le lot, se trouve un Imoca, conçu en 2012, mais qui n’a pas vu le jour, faute de budget.
Et cette fois, il s’agit d’opérer un « saut technologique », en vue de répondre aux exigences des courses actuelles, avec « l’accroissement très sensible de la vitesse, donc des chocs à la mer », relève l’architecte. « Les efforts qui s’appliquent sur le fond du bateau peuvent s’élever à 50 tonnes par m² sous la coque et à 20 ou 30 tonnes sur des petites pièces comme les câbles », poursuit-il. Rien à voir avec les navires homériques d’Ulysse, ou avec les bois de marine imaginés sous Colbert.
Marc Thiercelin lui-même a suivi une formation initiale à l’école Boulle durant 3 ans, pour étudier l’ébénisterie, la marqueterie, le dessin, dans l’idée alors de devenir luthier, avant de larguer les amarres. Depuis, il a participé quatre fois au Vendée Globe et, à bientôt 65 ans, il affiche, à son compteur, 700 000 km sur les océans.
Une coque faite en majorité de bois
« Dans la coque d’un Imoca, nous remplaçons une partie du monolithique de carbone par du bois. Cela donne une épaisseur de quelques millimètres en contreplaqué ou en triplis sous vide et une couche encore plus fine de carbone »,
Les essences envisagées comprennent « des bois d’Europe et d’Afrique provenant de forêts écogérées », c’est-à-dire du bouleau et, pour les petites pièces, de l’acacia, du mélèze, aux côtés de l’okoumé. Le bois se trouve alors encapsulé dans une résine époxy, composée à 33 % de biosourcé.
GPYD a sollicité l’institut de mécanique Clément Ader (université de Toulouse), en vue de tester 250 échantillons de pièces de bois. L’École supérieure du bois (ESB) a travaillé, en 2021, sur la caractérisation des quantités de CO2 associées aux assemblages en bois. Vient également, en accompagnement, GSEA Design, bureau d’études spécialisé dans l’ingénierie mécanique.
Parmi les fibres naturelles, le bambou est annoncé comme un constituant d’une partie du pont et des aménagements intérieurs ; le chanvre, le lin, l’ortie, entrent dans la composition des voiles.
Le léger surpoids du bois (+5-6 %), par rapport au carbone, ne vient pas obérer les performances et, durant la course, « il a moins d’impact que la stratégie liée à la météorologie ou le bon réglage de la voile », assure Gildas Plessis.
En revanche, la construction de la coque en bois représente 200 tonnes de CO2, soit 70 % de moins que pour une coque en carbone, selon les tenants du projet qui se basent sur la méthode Bilan Carbone de l’Ademe. En outre, une économie de matière provient de l’absence de moule, classiquement utilisée pour la coque en carbone. Qui plus est, le projet vise le recours à du carbone déclassé d’Airbus.
Un prototype est en construction sur un chantier naval de Duqueine.

Le pôle de compétitivité Xylofutur en appui
Orchestrant l’ensemble, Marc Thiercelin a trouvé son slogan : « Faire naviguer la forêt. » Il aimerait aussi emmener, dans son sillage, la filière bois.
Pour son projet, le groupe Thebault fournirait les produits bois qui seraient ensuite découpés chez Malvaux, dont une partie passerait par le chantier naval Kaori Concept, avant que le tout ne soit assemblé par Duqueine Atlantique.
De plus, le pôle de compétitivité Xylofutur est monté à bord du projet. Marc Vincent, son ancien directeur récemment parti à la retraite, intervient comme consultant bénévole auprès du pôle, dont le président, Frank Mainard, vient en appui. Marc Vincent aide à identifier, parmi les entreprises membres de Xylofutur et de son réseau de start-ups La WoodTech, celles qui pourraient participer, voir soumettre des innovations à une labellisation et donc à un financement par le pôle. D’autres acteurs sont également susceptibles de se proposer.
Frank Mainard a aussi en tête une vision plus prospective avec, à terme, l’enjeu du « développement d’une filière économique de la navigation en bois, qu’elle soit de plaisance, hauturière et de compétition, qu’elle soit à voile ou à moteur, et aussi d’un lien avec la filière maritime de commerce ». Il reviendrait alors à d’autres organisations, par exemple au réseau d’interprofessions régionales Fibois, de prendre le relais.
Mais, l’Imoca bas-carbone nouvelle génération n’est encore que prédessiné. Pour que celui-ci voie le jour et participe à des courses qualificatives, Marc Thiercelin se fait aussi entrepreneur et recherche des financements, qu’ils proviennent de sponsors ou d’investisseurs. La construction du voilier en bois, bambou et chanvre, nécessite 5 millions d’euros, au lieu de 8 ou 10 millions pour un équivalent en carbone, à quoi s’ajoutent 2 millions d’euros annuels pour le budget de fonctionnement.
Chrystelle Carroy/Forestopic