Mettre en place une formule innovante de « Gestion écologique des débroussaillements obligatoires pour la protection contre les incendies de forêt » ou Gedopif. C’est ce que propose l’association Forêt méditerranéenne, en vue de rendre effective l’application du débroussaillement préventif obligatoire.
La forêt méditerranéenne vit sous la menace du feu – et, avec le changement climatique, la zone soumise à un risque fort d’incendie de forêt s’étendra vers le nord.
L’objectif n’est pas de supprimer tout feu de forêt, car cette ambition paraît inaccessible ; il est de donner au feu sa « juste » place, de réduire le nombre de départs de feux et l’importance des destructions qu’ils causent.
Le débroussaillement, une mesure simple de prévention…
Face à un problème aussi vaste que les feux de forêt, face à la diversité de leurs origines, causes et circonstances, face à la multiplicité de leurs formes, de leurs composantes et de leurs impacts, il n’existe pas une solution unique ; mais, dans un contexte où l’intrication entre forêt et urbanisation ne cesse de s’amplifier et de se complexifier, une question mérite de trouver rapidement une réelle solution, c’est celle du débroussaillement autour des habitations et constructions situées en forêt ou à proximité de la forêt.
La règle actuelle est simple (article L134-6 et suivants du Code forestier) : le propriétaire de cette maison ou construction doit débroussailler le terrain et le maintenir en bon état de propreté dans un rayon de 50 mètres (que le maire peut porter à 100 m) ; ce débroussaillement est obligatoire dans les départements et massifs cités par le Code forestier, il est à la charge du propriétaire de la construction.
… mais une obligation peu respectée
L’expérience montre que cette règle simple est délicate à appliquer dès lors qu’une partie de la surface à débroussailler n’appartient pas au propriétaire de la construction et que, sur le même espace, se superposent plusieurs obligations relevant de propriétaires privés ou d’acteurs publics : la situation devient vite inextricable et il est tentant de penser que les intéressés en jouent pour échapper à une obligation qui ne leur plaît guère (« Je n’ai pas envie de bouleverser le paysage autour de ma maison »), qu’ils ne savent pas comment faire (« Que dois-je couper ? Qui peut le faire ?… »), qu’ils n’ont pas envie de payer (« Cela va me coûter très cher ! »), voire qu’ils contestent la nécessité de cette obligation (« Il n’y a jamais de feux par ici ; et s’il doit y en avoir un, les pompiers viendront à notre secours ! »).
Beaucoup a été fait pour apporter réponse à ces questions et objections, et, en particulier, la description des travaux à assurer est précisément décrite dans des dépliants et autres documents d’information. Le ministère français en charge de l’agriculture a rédigé et diffusé, en février 2019, un guide technique documenté et illustré. Ce document comporte 98 pages : ce volume impressionnant n’est-il pas la confirmation d’un vice originel ?
C’est ce que tend à confirmer le constat selon lequel, dans les départements où de réels efforts sont faits pour mettre en œuvre cette législation, le taux d’application dépasse rarement les 50 %. C’est bien peu pour une obligation légale ; c’est bien peu pour une formule dont l’efficacité a été régulièrement confirmée. Les retours d’expérience le démontrent : une maison dont les abords ont été débroussaillés comme le demande le Code forestier est mieux protégée contre le feu ; ses habitants, selon la recommandation des pompiers, peuvent alors se calfeutrer à l’intérieur, et les pompiers peuvent se consacrer à la protection de la forêt plutôt qu’à celle des maisons.
Le débroussaillement réglementaire, un dispositif à revoir
La question a été longuement évoquée lors de la journée d’information et de débat qu’a organisée l’association Forêt méditerranéenne, le 12 mars 2019 à Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône). Sous l’intitulé « Changer notre regard sur les incendies de forêt, et agir sans délais », cette journée, soutenue par le conseil régional de Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, le conseil départemental et la métropole Aix-Marseille-Provence, a suscité la vive inquiétude des participants quant à la perspective de feux convectifs ou méga-feux, tels que ceux qui, ces dernières années, ont causé des pertes dramatiques en vies humaines, en maisons et en surfaces forestières en Grèce, au Portugal ou en Californie. Chacun a bien compris que notre pays, notre région méditerranéenne, n’est pas à l’abri de tels drames. L’association a donc rédigé et largement diffusé une note d’alerte et de propositions, disponible en ligne.
Sur la question du débroussaillement obligatoire, les participants ont conclu à la nécessité de revoir un dispositif qui, malgré la force que lui donne la loi, ne fonctionne pas : il n’est pas appliqué. Bien sûr, ici ou là, de beaux exemples d’implication de citoyens ou de collectivités locales donnent des résultats positifs. Mais, ces exemples restent l’exception. De fait, les propriétaires n’ont fondamentalement pas envie de faire ces débroussaillements, les maires se montrent réticents à être trop insistants (« Si je me fais trop pressant, je peux craindre pour ma réélection »), et les préfets ont tant d’autres priorités à gérer avec les élus.
Mettre en place une maîtrise d’ouvrage publique unique
L’idée a donc été suggérée de mettre en place, au niveau territorial le mieux approprié, une maîtrise d’ouvrage publique unique, de lui confier la responsabilité de ces obligations légales de débroussaillement, et de lui donner les moyens financiers pour réaliser ces travaux. Le modèle, en cela, s’inspire de la Gemapi qui donne aux intercommunalités le pouvoir réglementaire, technique et financier de réaliser les travaux de gestion des milieux aquatiques et de protection contre les inondations. Certes, la chose n’a pas été facile à installer, les oppositions ont été fortes surtout lorsqu’il s’est agi d’instituer une taxe Gemapi à la charge de chaque habitant. Les débats ont été longs, tendus, difficiles, mais la raison l’a emporté, et un système dont on espère qu’il sera effectivement mobilisé par les collectivités et régulièrement appliqué a été instauré : face à des questions qui concernent directement des habitants et des propriétaires de terrain, face à des risques qui ont une extension pluri-communale, face à des enjeux multiformes, le bon acteur a été identifié, et les moyens pour qu’il agisse avec efficacité lui ont été donnés.
C’est ce même raisonnement qu’il s’agit de développer face au risque d’incendie de forêt sur cette question du débroussaillement obligatoire, si essentielle pour la protection des personnes, des biens et des forêts. Ceci en vue de définir ce que pourrait être une Gedopif ou « Gestion écologique des débroussaillements obligatoires pour la protection contre les incendies de forêt ».
Ouvrir une réflexion pour appliquer la Gemapi au risque des feux de forêt
Les questions sont évidemment nombreuses sur la meilleure façon de « décalquer » le dispositif Gemapi. Une réflexion large doit être ouverte et porter notamment sur les points suivants :
– l’échelle territoriale : la menace du feu de forêt se cantonne rarement au niveau communal, elle s’exprime plus souvent au niveau de l’intercommunalité ou du massif forestier. L’échelle à privilégier pourrait être celle du massif, avec une subdivision possible, lorsque la superficie du massif est trop étendue, selon les intercommunalités qui le composent ;
– la contribution financière à installer : il ne s’agit pas de créer une taxe supplémentaire, mais de redistribuer la charge du travail à assurer. Certes, ce débroussaillement profite d’abord au propriétaire de la maison. Mais, en même temps qu’il crée une sujétion, il profite aussi à l’ensemble de la collectivité, en lui garantissant mieux la protection du massif boisé qui fait le charme et la qualité de vie de la commune. De la sorte, il n’est pas invraisemblable que chaque habitant contribue à l’effort, de la même façon que pour la Gemapi, alors que tous les habitants ne sont pas exposés de la même façon au risque d’inondation ou aux avantages qu’apportent les milieux aquatiques. Il faudra cependant se poser la question : est-ce que le taux doit être identique pour tous les habitants ou serait-il plus juste qu’il soit plus élevé pour le propriétaire de la construction ?
– la réalisation des travaux : la possibilité devra sans doute être laissée au propriétaire d’effectuer lui-même les travaux, mais dans un délai précis ; au-delà, c’est la collectivité qui assurera les travaux, soit en régie directe si elle est suffisamment équipée pour le faire, soit à travers un marché public. Cette seconde formule a l’avantage de donner une stabilité aux entrepreneurs de travaux forestiers et de débroussaillement et de permettre des économies d’échelle sur les coûts des travaux, en même temps qu’elle apporte une garantie sur la qualité des interventions. La planification des travaux devra se faire en déclinaison des priorités fixées par le plan départemental de protection des forêts contre l’incendie, le PDPFCI qui doit être le guide de référence de l’action collective en DFCI*.
N’attendons pas qu’un drame se produise
De façon provocante et volontairement choquante, l’association Forêt méditerranéenne a ouvert sa « note d’alerte et de propositions » par un préambule funeste décrivant la visite des plus hautes autorités de l’État dans un village méditerranéen dévasté par un incendie meurtrier. N’attendons pas qu’un tel drame se produise pour changer de regard et de mode d’action.
Oui, notre pays fait déjà beaucoup, et avec de beaux résultats. Oui, notre pays fait certainement davantage que les pays méditerranéens voisins. Mais, non, la France n’est pas à l’abri d’un drame horrible. Ne baissons pas la garde, et, là où il est clair que l’action n’est pas au bon niveau, imaginons autre chose. Commençons par ce point capital des obligations légales de débroussaillement.
Charles Dereix, président de l’association Forêt méditerranéenne
* DFCI : défense des forêts contre les incendies.