Comment font nos voisins allemands, suisses et autrichiens pour transformer l’essentiel de leurs ressources en bois sur leur sol?
Comment font nos voisins allemands, suisses et autrichiens, pour transformer l’essentiel de leurs ressources en bois sur leur sol? (crédit photo: Jean-Pierre Bazard)

Entre la Fédération nationale du bois et le programme de la forêt et du bois (PNFB): amour ou désamour?

 

Donner la faveur aux plantations sur la régénération naturelle des forêts, privilégier la transformation des grumes en France ou encore l’« articulation des usages » du bois, créer une médiation entre l’ONF et les exploitants forestiers… autant de revendications de la FNB qui appellent des remarques.

Je viens de lire, dans la revue Le Bois international daté du 23-30 décembre 2017, que la Fédération nationale du bois (FNB) avait présenté cinq revendications lors d’une visite de scierie par une délégation de députés, en particulier de Vincent Thiébaut, qui vient d’être nommé, ce 10 janvier 2017, membre du Conseil supérieur de la forêt et du bois, ce qui confirme une information parue dans Forestopic le 27 octobre 2017. Après avoir rappelé l’objet des demandes de la FNB, j’y apporterai quelques commentaires.

1. Selon la FNB, il faudrait augmenter les surfaces de plantations de 500 000 hectares à l’horizon de 2025, avec un budget demandé de 150 millions d’euros par an. Car « la surface forestière est en France peu productive : avec une surface forestière moindre que la France (11 millions d’hectares contre 16 millions d’hectares), l’Allemagne produit deux fois plus de sciage ».

Notons d’abord que la référence à la seule surface n’est guère pertinente, car les capacités de production (au sens de l’inventaire forestier) dépendent largement des conditions stationnelles, dont le sol, le climat, l’exposition, la pente… Il faudrait évoquer les surfaces qui sont actuellement mal valorisées par les peuplements en place, taillis et accrues en particulier, et préciser les conditions de plantation.

Cette demande, avec la référence allemande, porte implicitement sur des boisements résineux. La FNB regrette régulièrement l’insuffisance de la ressource française en conifères. Mais, elle est, pour le moins, en contradiction apparente avec deux orientations de la société, du public en général, qui sont la sauvegarde des peuplements feuillus d’une part, et d’autre part la priorité attribuée à la régénération naturelle. Sauf à lever cette ambiguïté, cette demande ne paraît guère recevable par des responsables politiques.

« La transformation de certains peuplements feuillus pauvres en peuplements résineux [doit] faire l’objet d’une communication spécifique et d’un débat objectif », lit-on dans le programme national de la forêt et du bois (PNFB § II.3.a).

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Il faudrait également évoquer les pas de temps considérés : augmenter dans de telles proportions les surfaces plantées, d’ici à 2025, paraît hors de portée du système actuel de graines et de pépinières… et les conséquences, en terme de sciage, ne peuvent être envisagées qu’au terme de plusieurs décennies.

Sauf à rappeler (cf. PNFB, § I.4.b) que cette aide aux plantations serait, de fait, une incitation à la récolte de peuplements qui méritent d’être « améliorés », et donc contribuerait ainsi à l’augmentation de la mobilisation, souhaitée par la FNB, de bois d’œuvre feuillus dispersés parmi les petits bois.

Sans même évoquer le fait que les adhérents de cette Fédération professionnelle sont, pour certains d’entre eux, de gros propriétaires forestiers, et qu’ils ne seraient probablement pas absents de l’effet d’aubaine que ces aides conséquentes pourraient apporter à tous ceux qui ont déjà l’intention de régénérer par plantation leurs parcelles venues en exploitation.

2. La FNB revendique une transformation prioritaire des grumes sur le territoire français, listant les mesures réglementaires qui pourraient contribuer à cet objectif.

Je partage tout à fait cette finalité de transformation sur notre territoire des bois ronds. Il est anormal que notre pays soit l’un des derniers qui acceptent de fournir des entreprises étrangères avec des bois non transformés. Mais, la France fait partie de l’Union européenne, et ce transfert de la responsabilité vers des mesures publiques peut s’apparenter à une « arabesque latérale ».

Car comment donc font nos voisins allemands, suisses et autrichiens ? Comment se fait-il qu’ils sachent, eux, transformer l’essentiel de leurs ressources sur leur sol ? Parce qu’ils ont su établir un partenariat entre les fournisseurs, détenteurs de la ressource, les propriétaires, et les utilisateurs, scieurs d’abord. Avec une confiance partagée sur la garantie à long terme de l’approvisionnement (à partir des données de l’inventaire, mais qui sont confortées par les comportements des propriétaires). Ce qui autorise les transformateurs à investir, à moderniser, à gagner en productivité, et finalement à payer un « juste prix » à leurs fournisseurs.

Cette logique n’est pas partagée en France, les gestionnaires gardent trop en mémoire les comportements (passés ?) des « marchands de bois », et préfèrent disposer de la capacité de « faire des coups » par des ventes sinon lointaines, du moins externes, et certains scieurs ne dédaignent pas, eux-mêmes, de jouer cette carte, soit après le tri entre les billons, soit par la cession en container de grumes à peine équarries.

Il s’agit de dénoncer des comportements, de favoriser par des ventes adaptées les transformateurs métropolitains, mais à charge pour ceux-ci d’adapter leurs établissements, et d’accepter de partager les gains de productivité avec leurs fournisseurs. C’est ce débat que la FNB devrait engager, d’abord dans ses rangs, en interne. Plutôt que d’exprimer des vœux bien hypothétiques…

3. La FNB souhaite la mise en place d’une provision pour investissement, au vu des besoins de financement dans le secteur de la première transformation.

Encore faudrait-il évoquer, même à grands traits, les besoins de financement en question, et les mettre en relation avec les capacités, en fonds propres, des entreprises actuelles, pour « accélérer leur modernisation, accompagner les indispensables gains de compétitivité, pour investir massivement pour adapter l’outil industriel » (PNFB, introduction du chapitre II).

Il me semble, mais sans avoir étudié suffisamment les données, que cette « provision » peut, de fait, aider certaines entreprises, et qu’elle a un intérêt certain, en particulier pour les plus grosses sociétés de sciage en France, dont beaucoup sont présentes parmi les instances de la Fédération. Mais, s’adressant à des élus, la FNB aurait pu marquer :
– d’une part, que le système français mérite d’être revu, pour offrir une rémunération correcte des capitaux engagés dans cette première transformation. Il s’agit de réduire les risques sur l’approvisionnement, dus à l’exportation de grumes et de billons, ou à la rétention de la part des propriétaires ;
– et, d’autre part, que l’effort en fonds propres est probablement hors de portée des actionnaires actuels, et que la nécessaire modernisation du secteur français de la scierie passe par l’arrivée de nouveaux acteurs, nationaux ou étrangers, partie par diversification vers l’aval (propriétaires…), partie vers l’amont (entreprises de construction ou énergéticiens). Il ne peut être exclu que ces nouveaux acteurs de la filière, ces grosses entreprises cotées, prennent conscience de la faiblesse du secteur du sciage, s’y intéressent et, dans ce cas, usent de leur influence pour que les moyens qu’ils devront y affecter y trouvent une rentabilité, y compris par une réorganisation du système.

L’ajustement financier réclamé par la FNB ne semble pas à la maille des ambitions nationales.

4. La FNB réclame une médiation entre l’Office national des forêts (ONF) et les exploitants, en faveur de leur accès à la ressource et plus généralement de la concurrence de l’activité d’exploitation.

Il faudrait préciser les demandes :

– l’ONF peut être tenté de développer l’activité d’exploitation avec ses propres engins, et ses personnels. Venant dans ce cas en directe concurrence de certains « entrepreneurs de travaux forestiers » (ou de l’activité correspondante, réalisée par des « exploitants forestiers »), auxquels l’établissement public faisait appel, ou aurait pu faire appel. Il faudrait apprécier la pertinence de ce début d’intégration vers l’aval de l’ONF, et si elle permet, notamment, une meilleure qualité dans les prestations fournies, de récolte, mais aussi dans les précautions vis-à-vis des tiges en réserve, et du parterre de coupe ;

– mais surtout, l’ONF développe ses ventes de bois, abattus, en bord de route ou même rendus dans les parcs à bois, ce qui, à récolte constante, vient directement concurrencer l’activité des exploitants. Mais permet à l’ONF de récupérer la valeur de cette activité, qui est non seulement liée à des coûts de revient, mais aussi (et surtout?) à des marges commerciales liées au tri et à la découpe des grumes, pour une bonne adéquation aux différents clients. Mais aux dépens des « marchands de bois » en place.

Il faudrait probablement plus de clarté entre les partenaires, annoncer l’évolution en cours ou prévue (en lien avec les coopératives et les experts, d’ailleurs), car cette tendance des ventes en bord de route est liée à l’amélioration de la contractualisation. Il faudra à la FNB être plus claire dans les défenses parfois contradictoires de ses différentes familles professionnelles.

5. La FNB demande une pédagogie pour libérer la filière et l’administration du « carcan » du concept de la hiérarchie des usages du bois, qui aurait pour effet d’orienter les aides vers certaines industries (papier, panneau) plutôt que d’autres (énergie, scierie, chimie…), alors qu’aujourd’hui il s’agit de marier production de sciage, énergie, granulés, chimie.

Je suis tout à fait d’accord sur l’évolution souhaitée, de « marier » les différents usages : dans le même établissement, il est possible, souvent souhaitable, d’associer dans une « économie circulaire » les différentes destinations du bois. Et les frontières entre les diverses « filières » sont en train de s’estomper, pour le moins.

Mais, je crois qu’il y a encore une vraie pertinence à conserver cette hiérarchie des usages, car le bois devrait mieux être valorisé comme matériau, d’abord, puis comme fibre, puis comme molécule, et enfin comme combustible. Car un meuble, une poutre, peuvent ensuite être broyés, et brûlés, alors que la combustion détruit le bois, pour faire simple.

D’autre part, je ne vois guère que le carcan soit là où la FNB le place : les aides récentes se sont de fait concentrées sur le bois énergie, beaucoup plus que sur le papier ou le panneau.

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Dans la demande exprimée, j’entends plutôt l’expression d’une profession qui se sent mal aimée, mal défendue dans les cercles publics, et qui souhaiterait être mieux reconnue. Et aussi que les discours en sa faveur (priorité au bois d’œuvre) soient dans les faits appliqués.

N’y aurait-il pas dans cette demande une tentation pour que les diverses activités de transformation de la filière soient regroupées dans une seule compétence ministérielle, de fait l’expression d’un désamour, d’une déception vis-à-vis du ministère de l’Agriculture ? Celui-ci n’a pas su, ces dernières années, arbitrer en faveur du bois d’œuvre les moyens financiers qui lui étaient alloués, ne sachant pas résister à l’influence du monde agricole… Le mariage souhaité ne serait alors pas dans les discours, mais dans les compétences ministérielles.

Et l’évocation du papier et du panneau serait pour « flécher » cette réorganisation vers le ministère de l’Économie. Ce serait une cause qui mérite examen, et il ne serait pas déraisonnable que la césure entre les ministères soit au niveau de la cession des bois ronds : cela correspond à la tendance actuelle, et partagerait mieux les activités de plein air, liées au sol, au « territoire » forestier, des activités de transformation, quelles qu’elles soient.


Ces cinq demandes, présentées à des députés en début de mandat, ne me paraissent pas exprimer un soutien au Programme national de la forêt et du bois
tel qu’il a été adopté, et tel qu’il est négocié ces mois-ci au niveau régional. Cela apparaît plutôt comme une remise en question, dans le cadre de la nouvelle mandature qui s’ouvre :
– parce que le « renforcement des instruments de politiques publiques », annoncé comme nécessaire (PNFB  § II-3-f-i), se fait attendre ;
– parce qu’il n’apparaît pas que soit « facilité l’approvisionnement des filières implantées en France » (PNFB, § I-1) ;
– parce que les aides financières à l’investissement espérées ne sont pas obtenues ;
– parce que les exploitants forestiers attendaient de l’ONF des « contrats pluriannuels de prestation » (PNFB Introduction du chap. II) et non une concurrence ;
– parce que la hiérarchie des usages, où l’activité de sciage apparaissait prioritaire, ne semble pas avoir eu de concrétisation significative dans l’affectation des moyens publics.

En cette année 2018, le programme national de la forêt et du bois se déclinera dans les régions. Ces rencontres au niveau des « terrains de vie » pourraient permettre de retrouver la confiance entre les producteurs de bois et leurs acheteurs, et de fonder des projets partagés pour les massifs de notre pays. Ils devraient imaginer une gestion adaptée aux contraintes de notre siècle, apportant à nos entreprises l’approvisionnement qu’elles réclament.

Yves Poss, forestier retraité

Pour aller plus loin :
Le programme national de la forêt et du bois 2016-2026, disponible en pdf.



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