Index de l'article
Face aux levées de bouclier provoquées par les coupes de régénération ou coupes rases, les forêts régionales et domaniales d’Île-de-France s’orientent vers une sylviculture plus douce, avec la futaie irrégulière.
Il est des régions où la forêt cristallise les passions. L’Île-de-France est de celle-là. Il n’est pas rare que les coupes de régénération, autrement appelées coupes rases ou coupes définitives, mettent le public en émoi, promeneurs, riverains ou associations. En témoigne Régis Allain, responsable forêts à l’agence Île-de-France est de l’Office national des forêts (ONF) :
« Quand on enlève tous les arbres pour une coupe définitive, on le fait alors qu’ils sont les plus beaux, les plus gros. Lorsque cela déclenche une manifestation tous les matins, avec des moratoires, des reports, on ne fait plus de sylviculture. Or, dans notre âme de forestier, nous souhaitons que la forêt serve à quelque chose et qu’elle se maintienne. Pour qu’une forêt produise du bois, il faut récolter, puis la renouveler pour que mon successeur ait une forêt au moins aussi belle que celle que j’ai eue. Dans tous les cas, lorsque nous coupons des arbres, nous replantons. »
Ce peu d’acceptabilité sociale a déclenché un virage à 180° dans la gestion des forêts publiques franciliennes – régionales et domaniales –, à commencer par la partie est du territoire. La demande est d’abord venue de l’Agence régionale des espaces verts (AEV), propriétaire de plus de 10 000 ha de forêts périurbaines et espaces boisés. L’ONF, gestionnaire, prend acte. Cela se traduit par l’adoption de la sylviculture irrégulière, au gré des révisions des plans de gestion forestiers.
Engagée au début des années 2010, cette approche s’avère confirmée par le nouvel exécutif de l’AEV qui précise : « La futaie irrégulière est maintenue par principe, mais ponctuellement d’autres modes de gestion peuvent être envisagés pour prendre en compte des contraintes locales. Il n’y a pas de dogmatisme sur ce sujet au sein de l'agence régionale. »
La futaie irrégulière s’appuie sur un renouvellement en douceur de la forêt ; au sein d’un même peuplement, se côtoient des arbres grands et petits, jeunes et vieux. Par contraste, la sylviculture dite régulière travaille plutôt à l’échelle d’une parcelle où tous les arbres appartiennent à la même classe d’âge.
« Une révolution culturelle chez le forestier »
« C’est une révolution culturelle chez le forestier, nous confiait Éric Goulouzelle début 2016, alors qu’il était directeur général par intérim de l’AEV. La décision est entre les mains du technicien qui tient le marteau, en lien avec l’évolution particulière d’un arbre ou d’un groupe d’arbres. La finalité étant d’obtenir une régénération naturelle des forêt. »
Pour l’AEV, cette mutation est concomitante d’une autre, la démarche de certification FSC.
Claire Nowak, chargée de mission sylviculture à l’AEV, précise :
« Nous panachons toujours les essences-objectifs quand on travaille en irrégulier. Ainsi, dans une parcelle, nous travaillons au profit d’une essence principale (le chêne) et d’essences secondaires (le bouleau, le charme, l’alisier...), hiérarchisées en fonction du sol de la parcelle. Cela permet de favoriser de beaux alisiers quand on en trouve, pour diversifier. »
La sylviculture irrégulière gagne du terrain en Île-de-France, dans les forêts régionales de Ferrières, Rougeau, Bréviande, soit au total environ la moitié des surfaces forestières de l’AEV comportant un plan de gestion. L’ONF leur a emboîté le pas dans les forêts domaniales. La forêt de Sénart a entamé la marche. Puis, la forêt de Fontainebleau a suivi – les futaies irrégulières y couvrent près de 50 % des zones productives (hors réserves biologiques). L’Office entend adopter l’irrégulier pour 47 % des surfaces domaniales de l’est francilien, contre 12 % il y a 3 ans. Avec, en appui, des formations du personnel. Sur le sujet, des réflexions sont en cours dans l’ouest de la région.
« Les lots de bois sont plus hétérogènes »
Cette sylviculture haute couture doit aussi répondre à un objectif de maintenir les capacités de production de forêts franciliennes, aujourd’hui sous-exploitées, selon l’AEV, malgré une demande sociale en bois. En 2015, l’AEV a vendu 19 500 m3 de bois (certifiés FSC), essentiellement du chêne et du châtaignier.
En l’absence de coupe rase, la récolte s’échelonne dans le temps, et de même pour les revenus tirés du bois. « Les lots sont plus hétérogènes en futaie irrégulière », note Régis Allain, de l’ONF. Les bois sont alors triés, puis regroupés sur des places de vente.
Et le bouleau ?
En tant qu’essence pionnière, avec ses graines légères, emportées par le vent, le bouleau tend à s’implanter naturellement sur des espaces ouverts, dénués d’atmosphère forestière. « Le bouleau est surtout utilisé en bois-énergie. C’est un bois tendre. Pourquoi ne pas orienter la sylviculture à son profit, pour des placages ou des meubles, comme réussissent à le faire les pays du Nord », suggère le forestier Régis Allain. La Finlande, par exemple, compte une dizaine d’usines fabriquant du contreplaqué à partir du bouleau, selon un récent rapport de l’agence gouvernementale Invest in Finland.
« S’assurer du bon renouvellement de la forêt »
Avec ces nouvelles pratiques, les agents de l’ONF se mettent aux statistiques. En témoigne Régis Allain :
« Le traitement régulier se gère de façon plus standard et le suivi se fait par de simples additions. En irrégulier, nous effectuons des prélèvements ici et là. Cela nécessite notamment de réaliser des échantillonnages et de calculer des moyennes en vue de s’assurer du bon renouvellement de la forêt dans son ensemble et d’en dresser l’inventaire, avec la technique des placettes permanentes*. »
Sur le terrain, les forêts font leur mue et requièrent de la patience. Comme le souligne l’AEV :
« Cela fait des siècles que ces forêts sont gérées en régulier. Il faudra des dizaines d’années avant que l’impact paysager de l’irrégulier se fasse ressentir. »
Sur le plan économique, le coût de ces mesures reste aussi à évaluer dans le temps.
Chrystelle Carroy/Forestopic
* Les placettes permanentes sont suivies d’un inventaire à l’autre, a contrario des placettes temporaires qui ne sont étudiées qu’une seule fois.