Maquette en chêne de deux fermes de la charpente de Notre-Dame, présentée au salon des maires 2019 par France Bois Forêt et réalisée par des apprentis charpentiers des Compagnons du devoir à l’échelle 3/4. Au premier plan à droite, maquette en noyer de la flèche de Notre-Dame (crédit photo: Philippe Dupuy)
Maquette en chêne de deux fermes de la charpente de Notre-Dame, présentée au salon des maires 2019 par France Bois Forêt et réalisée par des apprentis charpentiers des Compagnons du devoir à l’échelle 3/4. Au premier plan à droite, maquette en noyer de la flèche de Notre-Dame (crédit photo: Philippe Dupuy)

Une certaine idée de la forêt, de Notre-Dame, de Versailles et de la nation française

 

La reconstruction à l’identique de la charpente de Notre-Dame serait une occasion d’aborder la forêt comme un patrimoine culturel, plutôt que naturel ou économique. C’est cette patrimonialisation culturelle qui pourra créer de la passion pour la forêt et le bois. 

La sage décision de reconstruire la charpente de Notre-Dame de Paris à l’identique vient d’être révélée par Le Point (quoique sans confirmation officielle, s’est empressé de préciser le général Jean-Louis Georgelin). Recréer la charpente de Notre-Dame avec du bois massif de chêne, c’est faire le lien avec la démarche des forestiers « Des chênes de France pour Notre-Dame » ; cela permet aussi de faire le lien avec une nécessaire démarche de patrimonialisation culturelle de la forêt. Patrimoine au sens de ce que l’on reçoit des anciens et que l’on transmet en bon état, entretenu, restauré et enrichi, aux générations futures.

On ne tombe pas amoureux d’un puits de carbone

Dans le débat parfois compliqué entre la société et les forestiers, je pense que l’entrée par le patrimoine culturel est plus facile à pratiquer que l’entrée par le patrimoine naturel qui a l’inconvénient de ne pas clairement inclure l’homme, voire parfois de le rejeter. Tout aussi peu inclusive, est l’entrée par le patrimoine économique, beaucoup trop sec pour susciter l’empathie.

On ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance, on ne tombe pas amoureux non plus d’un stock de mètres cubes de bois par hectare, ni d’un accroissement biologique de la forêt, pas plus que d’un puits de carbone, ou d’une cohorte d’insectes qui décomposent des bois morts. Non pas que cela ne soit pas important et essentiel ; mais une nation, peut-être et surtout la française, ne se mobilise ni n’agit sans « passion pour ». Et c’est ce qui manque le plus aux forêts aujourd’hui : la passion de la nation pour la forêt et les forestiers, pour en faire une cause nationale et y mettre les moyens et le soutien qui manquent cruellement.

À en rester à un débat binaire, le patrimoine naturel ou (voire contre) le patrimoine économique-bois, on ne peut que s’enfermer dans des controverses minoritaires, où des parties de la société finissent par polémiquer entre elles sur des positions de plus en plus radicalisées, qui n’intéressent pas la très grande majorité des citoyens ni celle des propriétaires forestiers. Il n’est alors pas possible par ces entrées de mobiliser les citoyens et les politiques, pour faire simple : la Nation.

La question de la démarche de lien forêt-société-forestier ne peut, à mon sens, continuer à emprunter les chemins habituels du monde forestier qui, pour l’essentiel, consistent à expliquer, pour susciter l’adhésion, que l’entrée économique-bois est bonne, que nature et économie sont compatibles et interdépendantes, et que les forestiers agissent bien, selon les principes de la raison.

Faire de la forêt un bien commun culturel

Il faut à mon sens monter d’un cran et parler culturel. Versailles et Notre-Dame ont sublimé, en les dépassant, sans les détruire, mais en les intégrant, les projets historiques initiaux : symbole de l’absolutisme royal et de la toute-puissance de la religion. Ce sont devenus aujourd’hui des biens patrimoniaux culturels communs, aimés profondément par la nation qui consent à déléguer, sans vraiment de problème, à des professionnels le soin de s’en occuper avec tous les ressorts et outils de la raison et de l’économie gestionnaire.

C’est cette voie de patrimonialisation en bien commun culturel, et non une nationalisation de biens matériels, qu’il faut explorer pour la forêt. Le temps long de la forêt la prête remarquablement bien à l’introduction de la dimension historique nationale. Par ailleurs, la montée sociétale de sentiments positifs envers l’arbre et la forêt (cf. Peter Wohlleben et les bains de forêt) que certains voient peut-être trop vite comme ridicules et dangereux peut au contraire se combiner, tisser des liens, avec la raison scientifique et gestionnaire pour arriver, si je suis autorisé à paraphraser le général de Gaulle, à une « certaine idée de la forêt que le sentiment inspire aussi bien que la raison ».

Après avoir fait avancer l’unité culturelle autour de l’idée de forêt, il sera alors possible, mais ensuite, pas avant, d’y faire vivre et prospérer en harmonie les enjeux économiques et naturels et de légitimer les actions et la gestion des forestiers. Les forestiers eux-mêmes, j’en suis convaincu, ont déjà, dans leur grande majorité en eux, cette « certaine idée de la forêt », génératrice de passion.

Créer une culture-passion pour la forêt et le bois

C’est aussi une caractéristique humaine, en tout cas française, de ne prendre conscience de la valeur d’une chose ou d’une idée que lorsqu’elle est menacée de disparaître. Dans cette menace, on y est entré, plus ou moins confusément dans les esprits, face aux forêts qui meurent – d’insectes, d’incendie ou de dépérissement –, cette immense tempête silencieuse évoquée par Claudine Ritcher de l’Office national des forêts (ONF). C’est donc le bon moment d’une avancée culturelle.

Par quels moyens ?

Le patrimoine culturel commun existe déjà ; il est sans doute temps de le mettre en lumière, et comme tout patrimoine, de le partager, l’entretenir et le transmettre.

– Manifestement l’aspect territorial est essentiel, de même que la relation longue ; ce qui conduit à la notion de familiarité et de voisinage.
– En mobilisant le ressenti, la mémoire collective et individuelle (souvenirs d’enfance, expériences adultes de lien à la forêt).
– En utilisant les forces et la médiation des artistes et porteurs de parole publique au sens large : plasticiens, créateurs de spectacles, écrivains, conteurs, etc.
– En « faisant ensemble » des actions en forêt et pour la forêt : découverte, compréhension, actes simples de gestion.

Cela conduira à créer de la culture-passion partagée par le geste et l’action.

Le plus fort levier culturel en forêt reste cependant l’arbre dans ses dimensions symboliques multiples. Dans la plupart des civilisations, l’arbre est objet de représentations auxquelles sont associées des manifestations collectives.

La reconstruction à l’identique de la charpente de Notre-Dame avec les techniques d’époque va conduire à aller en forêt chercher les arbres adaptés, les couper et les mettre en forme. C’est une formidable occasion de créer un lien fort entre la forêt et l’un des joyaux de notre patrimoine national, historique et culturel, et d’y mobiliser la société et les forestiers. Il y a à penser un cérémonial de désignation et de cueillette des arbres concernés dont les troncs serviront à refaire la charpente de Notre-Dame. On peut y mettre tout ce qui précède dans une sorte de bouquet-passion pour la forêt.

Hervé Le Bouler, forestier de chemins de traverse et conseiller du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Autour du sujet, à lire ou à relire :
• Nos articles qui traitent : des représentations sociétales en lien avec la forêt et le bois
• Sur Notre-Dame de Paris :
Du bois pour reconstruire la charpente de Notre-Dame, une évidence selon Yann Arthus-Bertrand
– Dans notre rubrique humoristique et satirique, Rebâtir Notre-Dame. Le «grume washing», l’autre drame?
Notre-Dame de Paris: après l’incendie, la reconstruction. La filière forêt-bois prête à contribuer



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Rubrique humoristique et satirique de la forêt et du bois


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