«Il semble inéluctable que les forestiers doivent se plier, tôt ou tard, à l’exercice de la concertation avec la société civile» (photo: droits réservés)
«Il semble inéluctable que les forestiers doivent se plier, tôt ou tard, à l’exercice de la concertation avec la société civile» (photo: droits réservés)

Forêt privée et société civile: la concertation est-elle possible?

 

Le rapport Cattelot, puis la note Pompili, induisent une évolution radicale de la politique forestière française. Si la concertation avec la société civile semble inéluctable, le preneur de risque reste le propriétaire forestier. 

En septembre 2020, la députée du Nord, Anne-Laure Cattelot, remettait son rapport de mission parlementaire sur la forêt et l’avenir de la filière bois. La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, semble s’en inspirer, en le radicalisant, et surtout en ignorant le fait que la propriété privée forestière représente 75 % de la superficie forestière de France métropolitaine et concerne 3,3 millions de propriétaires.

Le rapport Cattelot insiste sur « l’impératif de partager entre les forestiers et la société un contrat social clair ». Ainsi, sa recommandation n° 16 porte, à l’échelle d’un territoire, l’adhésion des forestiers à des « plans locaux forestiers » adossés à un espace d’échanges et de concertation de type « conseil territorial des forêts », où sont représentés les forestiers, les professionnels de la forêt, les citoyens, les élus, les associations.

Vraie fausse concertation

Il semble inéluctable que les forestiers doivent se plier, tôt ou tard, à l’exercice de la concertation avec la société civile. Pourquoi pas ? Cependant, dans la pratique, de multiples expériences locales ont montré que les citoyens participent peu, ou s’épuisent très vite à l’exercice de la concertation.

En revanche, j’observe que c’est le terrain de prédilection et d’influence des organisations environnementales ou ONG diverses et variées qui noyautent et prennent le pouvoir dans ce genre d’organisation. En clair, la démocratie participative est une astuce par laquelle une minorité impose ses vues.

Dans la réalité, la négociation se fera avec les organisations environnementales dont les positions sont connues. Chaque propriétaire forestier devra-t-il se soumettre à une minorité agissante ou bien être libre de ses choix : choix sylvicoles, choix de mise à disposition de sa propriété au service du public ?

Étant entendu que le preneur de risque reste le forestier et qu’il n’y a matière ni à juger, ni à jauger, pas plus qu’à hiérarchiser la forêt dont les fonctions seraient plus ou moins valorisantes.

Discuter de quoi ?

« Négociation » est sans doute un terme inapproprié, puisque les interlocuteurs associatifs n’apportent rien de concret, alors que les propriétaires apportent leurs biens forestiers et les problèmes afférents, c’est-à-dire : tout !

Il s’agit de discuter de la place de la forêt en étant conscient qu’à partir d’un certain niveau de contraintes et de réglementation, l’investissement forestier ne présente plus d’intérêt. À titre d’exemple, les producteurs d’une ressource en bois d’œuvre n’échappent pas à la tyrannie des coûts de revient. La mécanisation en forêt est incontournable. Les mélanges d’essences ne doivent pas conduire à des coûts d’implantation, d’entretien, de mobilisation (abattage + débardage) rédhibitoires qui sortent les produits bois du marché des matériaux.

Le projet de gérer collectivement la forêt de production (plans locaux forestiers) relève du phantasme ; comment expliquer à ceux qui débarquent dans la « question forestière » : le marché, la disponibilité des outils, les questions liées à l’exploitation, à la reconstitution des forêts, etc.

La bataille des services écosystémiques

La forêt doit pouvoir s’entretenir et le forestier investir grâce à la vente de ses bois, acquérant ainsi la légitimité de son autonomie de gestion.

Reste une partie de la ressource forestière du pays qui ne trouve pas son marché. Dans l’attente de cette opportunité, le paiement des services écosystémiques constitue une occasion à saisir, voire une nécessité, mais n’est pas sans risques.

Soyons lucides : la distillation tarifée de services écosystémiques induit une socialisation rampante de la propriété forestière.

Il faut donc évaluer les coûts financiers desdits services. À titre d’exemple, l’accueil du public* a un coût, essentiellement du fait de la perte de valeur marchande des propriétés.

Il est clair que la forêt de production, mécanisée et dynamique, est dans le viseur des organisations environnementales. Ne partons pas battus à la confrontation : tout type de forêt produit les services écosystémiques liés à la problématique CO2. Toute forêt séquestre in situ le carbone. Par contre, seuls les bois récoltés stockent le CO2 dans les produits transformés, voire se substituent aux matériaux issus de « fossiles ». La forêt qui produit des bois d’œuvre coche toutes les cases de l’économie biosourcée et circulaire par recyclage des produits en fin de vie.

Ne hiérarchisons pas les types de forêt, les conduites sylvicoles, les choix, les buts stratégiques. Toutes les forêts sont complémentaires. Ne catégorisons pas les propriétaires forestiers. Tout choix est respectable et les stratégies doivent être jugées à l’aune de leur efficacité par rapport à la problématique climatique et au maintien et développement des potentialités forestières.

La problématique forêt-société au cœur des Assises de la forêt ?

Les Assises de la forêt et du bois à venir mettront-elles la problématique forêt-société au cœur des débats ?

Soyons réalistes quant au fait que la mouvance environnementaliste n’éprouve pas une sympathie particulière vis-à-vis de la propriété privée, et pas davantage un grand intérêt pour les problématiques forestières (investissement, retour sur investissement, coûts d’implantation, de mobilisation). Bref, le sort des propriétaires forestiers leur importe peu.

La note du think tank Terra Nova, signée par la ministre Barbara Pompili, marque une évolution radicale de la politique forestière française. Significativement, en aucune occasion, sa lecture ne rencontre les termes « propriété privée forestière » ou « propriétaires forestiers ». Tout se passe comme si les forestiers étaient les spectateurs d’une pièce, dont ils sont en réalité les acteurs.

Le rapport Terra Nova induit une rupture avec la politique forestière qui vise à « maximiser la production de bois », avec pour objectif la production d’un matériau biosourcé et non de matériaux dévoreurs de « fossiles », répondant ainsi à la problématique carbone, dans le fil des préconisations de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

Or, les préconisations Terra Nova introduisent un déséquilibre de la fonction économique (production de bois), au bénéfice des fonctions environnementales et sociétales. S’y ajoute la recommandation Cattelot (rapport p. 49): « Réconcilier la société et tous les usagers dans une vision partagée de la forêt » ; on se dirige vers une profonde mutation du droit de propriété forestière. Les propriétaires forestiers et tous ceux qui s’intéressent à la forêt et au bois doivent être conscients de l’enjeu.

Bernard Ménez, propriétaire forestier

* Pour l’accueil du public : se pose aussi le problème de la responsabilité civile (article 1242 du Code civil, « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde »).



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Grivoiseries
Rubrique humoristique et satirique de la forêt et du bois


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