Les chênes, sessile, pédonculé et pubescent, occupent une place majeure dans les forêts françaises et cette suprématie n’est pas remise en cause aujourd’hui. Leurs bois demeurent les plus rémunérateurs au moment de la récolte, mais probablement pas assez si l’on considère la durée des révolutions des chênaies. Le chêne est-il pour autant à l’abri des menaces sanitaires ? Comment réagira-t-il à un climat plus sec et plus instable ? Face à ces incertitudes, les sylviculteurs préparent sa relève là où il sera demain en difficulté. Un point complet dans le numéro de mai 2022 de Forêts de France.
Le chêne est indéniablement l’emblème de la forêt française. Parce qu’il occupe son sol depuis des millénaires, qu’il est aujourd’hui encore symbole de force, de longévité, de sagesse. Il a été choisi pour rebâtir la charpente de Notre-Dame de Paris. La monnaie de Paris a reproduit sa feuille lobée si caractéristique sur une précieuse pièce en or. Le chêne, encore lui, est actuellement la vedette d’un long-métrage documentaire qui révèle ses incroyables capacités à nourrir, héberger, protéger les animaux de la forêt.
Le sylviculteur, lui-même, entretient avec le chêne une relation particulière. Quand il croise un arbre centenaire, il a souvent un mot aimable et porte un regard admiratif sur son solide houppier. Par son histoire, qui a commencé bien avant nous, le chêne nous relie aux générations qui ont précédé. On ne s’en sépare qu’à regret.
Un fleuron de la filière bois
Le chêne, ou plutôt les chênes, sont enchâssés dans le paysage français. Adaptés à la situation tempérée de l’Hexagone, ils poussent partout, sauf en montagne pour d’évidentes raisons climatiques. Avec le pédonculé, le sessile (ou chêne rouvre) et le pubescent, la France possède la deuxième réserve de chênes indigènes au monde, derrière les États-Unis d’Amérique et leur colossale réserve de chêne blanc*. Elle est, grâce à cette ressource, le premier pays producteur de chêne en Europe et le tonneau façonné à partir de son bois constitue le fleuron de nos exportations à travers le monde.
Le tonneau, voilà probablement l’objet qui a construit la réputation du chêne français à l’étranger. Produit d’un savoir-faire ancestral, il est constitué d’un assemblage de planches extraites de chênes à grain fin. Ces merrains façonnés dans la partie basse de la grume exigent la meilleure qualité, comme les placages obtenus à partir du tranchage du bois. Si la grume n’a pas la perfection requise, elle sera transformée en plots d’ébénisterie et de menuiserie, en frises et avivés pour la menuiserie et le parquet. Plus haut dans l’arbre, la surbille offre les pièces massives de charpente dont raffolent nos voisins anglais. Au-delà, le scieur va façonner des traverses de chemin de fer ou paysagères et du bois de palette. Quant au houppier, resté en forêt, il produira un excellent bois de chauffage.
Le chêne pubescent à la conquête du Nord ?
On le voit, le chêne se prête à tous les usages et il accepte la plupart des sylvicultures : futaie régulière, taillis sous futaie, traitement irrégulier, il est capable de s’exprimer et de donner le meilleur dans la plupart des situations et même dans le taillis pour le chêne vert. Sa régénération, dépendante de la générosité de la glandée, est facile à mener.
Sur le plan sanitaire, on ne lui connaît pas d’ennemi mortel. Les chenilles qui consomment ses feuilles ralentissent sa croissance sans mettre sa vie en péril. Mais, un autre danger menace à plus long terme : le réchauffement climatique. Dans les années 1990 et au début des années 2000, des sécheresses inhabituelles ont amoindrit la vitalité des chênes pédonculés, en particulier dans l’ouest du pays. Ces stress hydriques ont facilité les attaques d’insectes et de champignons et provoqué le dépérissement des arbres atteints. Des études ont confirmé cette faiblesse mais aussi la capacité de résilience des chênes, dès lors qu’ils retrouvent des conditions normales.
La sylviculture est aussi une arme efficace. Avec le projet Conqueth (« capacité d’occupation du nord des Quercus thermophiles »), une enquête récente menée par le Centre national de la propriété forestière (CNPF) a montré que le troisième chêne blanc, le pubescent, moins connu et moins utilisé, pourra contribuer à l’adaptation des chênaies du Nord. Ce chêne thermophile sera demain de plus en plus planté en reboisement… si l’on dispose de plants en nombre suffisant. Le plan de relance a en effet révélé une pénurie de graines, qui frappe également le chêne sessile et complique la mise en place de ces essences.
Pascal Charoy (Forêts de France)
* Le chêne blanc d’Amérique (American White oak) représente 2,26 milliards de m3. La France possède une ressource de 750 millions de m3 de chênes blancs, trois fois moins.