Une équipe de l’Inrae est à l’initiative du projet de sciences participatives dénommé « Gardiens des chênes ». Plusieurs classes d’âge collaborent, dans le cadre scolaire, à l’étude des mécanismes de résistance des chênes aux insectes herbivores sous différents climats et latitudes.
Quels pourraient être les impacts dus au changement climatique sur la capacité des arbres à faire face aux attaques d’insectes ? À l’échelle globale, quelque 6 % de la surface foliaire des arbres sont consommés chaque année par les insectes herbivores. Le projet « Gardiens des chênes », commencé en 2018, concerne les chênes pédonculés, une espèce susceptible d’être présente un peu partout du nord au sud de l’Europe.
Bastien Castagneyrol, de l’unité de recherche « Biodiversité, gênes et communautés » de l’Inrae* Bordeaux, en présente le cadre : « Pour l’expérimenter et l’étudier, ce n’est pas évident, car on ne peut pas mettre les arbres sous cloche et augmenter le thermostat pour faire monter la température. »
Prédire les effets du changement climatique dans 50 ou 100 ans
Si le changement climatique modifie en profondeur les relations entre les êtres vivants et le fonctionnement des écosystèmes, il s’avère intéressant de comprendre comment le climat d’aujourd’hui influence ces interactions et ce qu’elles pourraient être dans un monde plus chaud et plus sec.
« Nous utilisons des laboratoires naturels, ce que la géographie nous offre, à savoir : en Espagne il fait chaud, en Finlande il fait plus froid. On observe les relations entre les arbres, les insectes herbivores et les prédateurs des insectes herbivores sur un gradient géographique. Notre hypothèse est que nous pouvons utiliser ce gradient de température dans l’espace, le transposer dans le temps pour prédire quelles pourraient être les conséquences du changement climatique à l’horizon de 50 ou 100 ans »,
Les chercheurs ont pris en compte deux dimensions simultanément : le gradient géographique et le gradient climatique.
L’observation des phénomènes à grande échelle est l’une des difficultés du projet. Comment une petite équipe de chercheurs peut-elle embrasser un territoire aussi vaste ? « La méthode a un côté ludique et l’objectif du projet qui me tenait à cœur également est d’associer des élèves pour leur montrer comment on peut travailler en écologie, qu’il s’agit d’une discipline scientifique. On émet des hypothèses, on définit des méthodes spécifiques et on utilise ces méthodes pour les tester », relève Bastien Castagneyrol.
Un protocole scientifique accessible aux enfants
L’avantage d’associer des écoles est également qu’il en existe un peu partout. Bastien Castagneyrol a donc envoyé un courriel à des enseignants et le message a ricoché : « Nous nous sommes retrouvés avec 84 classes européennes. »
Pour l’observation, ils se sont confrontés à la rapidité de la mésange à croquer une chenille. « Cela fait sourire, souvent, lorsque je présente cela en dehors des professionnels du secteur. Plutôt que d’observer la prédation, nous utilisons un artefact. Nous observons les traces en fabriquant des chenilles en pâte à modeler et en les installant dans les arbres. Les oiseaux les attaquent, se rendent compte du subterfuge et vont voir ailleurs en ayant laissé les traces de leurs becs. » Près de 10 000 fausses chenilles ont été déposées dans quelque 300 arbres.
Un protocole accessible aux enfants a été rédigé par les chercheurs et mis en œuvre par toutes les classes d’âge de la maternelle à l’école d’ingénieurs, y compris des collègues scientifiques. Certaines écoles sont à la campagne, d’autres en centre-ville. « Cela peut avoir une influence énorme sur la présence des oiseaux et leur rôle de garde du corps pour les arbres », souligne le chercheur. Il s’agissait, une fois les fausses chenilles vertes accrochées aux chênes, de déterminer si elles avaient été attaquées ou non par des prédateurs, puis de les renvoyer vers l’unité de recherche.
Des enregistreurs acoustiques dans les arbres
Les premiers résultats montrent que tous les insectes herbivores ne sont pas influencés de la même manière par le climat ou les défenses des arbres. Ils mettent en cause l’idée selon laquelle la géographie pourrait faire office de « laboratoire » naturel en vue d’étudier l’effet du climat sur les écosystèmes. Des questions émergent de ces premiers résultats, comme l’observe Bastien Castagneyrol : « Nous avons beaucoup de bruit dans les données, c’est typique dans l’écologie. Nous voulons savoir quels sont les oiseaux responsables des attaques sur les chenilles. »
Grâce à un financement de la fondation BNP Paribas, des petits enregistreurs acoustiques vont être distribués aux membres du réseau. Ces équipements, installés avec les fausses chenilles, permettront d’identifier les oiseaux présents autour des arbres, « de décrire la biodiversité des prédateurs susceptibles d’attaquer les chenilles et donc de contribuer à la régulation des dégâts provoqués par les insectes herbivores ».
Parfois les géants ont besoin de petites mains pour parvenir à leurs fins.
Martine Chartier/Forestopic
* Inrae : Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.