Stratégie de l’INRA pour la forêt, création en projet de pôles de R&D INRA-ONF, relations entre la recherche et les forestiers privés ou les coopératives… Entretien avec Philippe Mauguin, PDG de l’INRA.
Philippe Mauguin, président-directeur général de l’INRA, répond aux questions de Forestopic. Il est accompagné de Thierry Caquet, chef du département scientifique INRA « Écologie des forêts, prairies et milieux aquatiques » (EFPA). Cet entretien fait suite à la lettre ouverte, parue dans Forestopic le 27 juillet 2016, « INRA, n’oubliez pas la forêt ! ».
Quels sont les principaux enjeux de l’INRA pour la recherche forestière ?
Philippe Mauguin : La sylviculture, plus encore que l’agriculture, engage sur le long terme. En cela, elle peut rapprocher les forestiers et la recherche. Dans le secteur de la forêt, la recherche et développement publique ou parapublique en France n’a pas à rougir de la comparaison avec l’international. Dans la recherche fondamentale, le CNRS, les universités, le Muséum d’histoire naturelle réunissent de l’ordre de 400 personnes. À l’autre bout, des acteurs plus proches du terrain, l’ONF, l’Irstea, l’Institut pour le développement forestier (IDF), le pôle amont de l’institut FCBA, comprennent eux aussi 400 personnes. Entre les deux, l’INRA représente 400 personnes également. Cela fait environ 1 200 équivalents temps plein mobilisés pour relever les défis de la forêt et du bois.
Quel rôle pour l’INRA dans ce paysage ?
P. M. : Nous ne sommes pas un acteur dominant, écrasant, mais peut-être un acteur de référence, un acteur pivot, entre la recherche expérimentale et appliquée. La stratégie de recherche et développement dans la forêt et le bois est une priorité pour l’INRA. Je suis prêt à la conforter et à la préciser avec nos partenaires. Aussi, j’accueille positivement cette lettre ouverte. Nous allons signer un accord cadre INRA-ONF et nous avons un projet d’unité mixte de recherche (UMR) INRA-ONF à Orléans.
Quand cette signature a-t-elle lieu ?
P. M. : La signature est prévue avec le directeur général de l’ONF à l’occasion de ma visite à Nancy, le 21 février 2017.
En quoi consiste cet accord cadre INRA-ONF ?
Thierry Caquet : Historiquement, l’accord cadre avec l’ONF date de 1986, initialement en vue de donner, aux chercheurs de l’INRA, un accès aux parcelles ONF. C’est important pour disposer de terrains d’expérimentation, car l’INRA n’est pas propriétaire forestier, mis à part quelques domaines comme à Pierroton, près de Bordeaux, ou à Nancy. Nos accords cadres annoncent une volonté de structurer et de coconstruire des projets de recherche.
L’accord cadre est une déclaration générale. Son annexe scientifique présente les sujets prioritaires sur lesquels nous allons travailler dans les 4 à 5 prochaines années. Nombre de ces projets de recherche sont menés avec de multiples partenaires, dans le cadre du réseau mixte technologique Aforce sur l’adaptation de la forêt au changement climatique.
Quels types de projets sont ciblés dans cet accord avec l’ONF ?
T. C. : Une entité nationale regroupant les travaux de R&D sur les ressources génétiques forestières est en projet. Son implantation pressentie est à Orléans. L’UMR INRA-ONF sera la pierre angulaire de cette structure collective. Nous la construisons avec nos partenaires ONF, CNPF-IDF, Irstea, FCBA. La conservation et la sélection des ressources génétiques pour les forêts du futur fait partie de ses objectifs.
Un autre projet, à Nancy, est de développer un pôle de R&D sur la gestion de la végétation de sous-bois, laquelle peut gêner des chantiers de restauration naturelle ou de plantation forestière. Nous souhaitons ainsi inscrire dans la durée une mission du MAAF qui existe déjà, en colocalisant des agents de l’INRA et de l’ONF.
Menez-vous la même approche avec vos autres partenaires ?
T. C. : Un accord cadre est en cours de rédaction avec le CNPF-IDF et pourrait être finalisé durant le premier semestre 2017. Il identifie les problématiques sur lesquelles nous souhaitons collaborer. Signalons aussi l’accord cadre qui existe avec FCBA sur la biotechnologie, la sélection génomique, la multiplication végétative, souvent pour les forêts de production, les forêts plantées, avec les modèles que sont le peuplier et le pin maritime. Une sorte de campus forestier, à Pierroton, regroupe au même endroit des implantations de l’INRA, de FCBA et d’une coopérative forestière. Cette colocalisation existe, même sans être inscrite dans un document officiel.
P. M. : C’est le cas à Bordeaux Pierroton. C’est le cas à Nancy, avec l’université de Lorraine, AgroParisTech, l’ONF et d’autres. De même à Orléans. Ces trois sites, Bordeaux, Orléans, Nancy, constituent une diagonale forestière. Nous avons placé nos équipes en majorité où se trouvent de grandes forêts de production et d’autres acteurs. C’est un élément d’efficacité.
T. C. : Nous avons également les forêts méditerranéennes à Avignon, avec un centre de recherche sur la biodiversité et l’adaptation au changement climatique. Et nos collègues de Kourou, en Guyane, sur les forêts tropicales.
Cette diagonale forestière n’est pas exhaustive, en termes de territoires forestiers.
P. M. : Nos effectifs se trouvent en majorité sur cette diagonale. Nos logiques sont à la fois thématiques et territoriales. Calquer nos laboratoires sur la carte des forêts reviendrait à morceler nos équipes.
T. C. : De plus, nos doctorants et nos techniciens se déplacent. Prenez le réseau INRA de plantations comparatives et d’arboretums. Il est présent dans quasi tous les départements de France métropolitaine.
Comptez-vous les forestiers privés et les coopératives forestières parmi vos partenaires ?
P. M. : Nous travaillons ensemble sur le terrain. Nous n’avons pas, à ce jour, d’accord cadre national avec les Forestiers privés de France ou avec la Coopération forestière française. Nous sommes disposés à nouer avec eux, s’ils le souhaitent, des accords du même type que ceux qui nous lient à l’ONF, au CNPF-IDF et FCBA.
L’innovation est omniprésente dans la stratégie de l’INRA à l’horizon 2025. Cette stratégie a fait l’objet de votes négatifs ou d’abstention de représentants du personnel qui craignent que l’INRA devienne un institut technique, au détriment de la recherche. Que répondez-vous à cela ?
P. M. : L’INRA vient de fêter ses 70 ans. Depuis 70 ans, l’INRA fait de la recherche scientifique d’excellence et de l’innovation. Je propose de continuer sur cette dynamique. L’INRA n’a pas vocation à devenir un institut technique. La force de l’INRA réside dans ses productions scientifiques de niveau international et, en même temps, dans sa capacité à répondre à la question de savoir comment vont évoluer les sylvicultures demain pour être plus performantes et plus écologiques. Il est hors de question de rester dans une tour d’ivoire, en se coupant de la réalité du terrain.
Peut-on imaginer des convergences entre forêt et agriculture ?
P. M. : Certaines existent déjà. Les secteurs forestier et agricole vont devoir s’adapter au changement climatique. Ce sont aussi deux secteurs clés dans la lutte contre le changement climatique, avec leur capacité de puits de carbone. Dans les relations entre agro-écologie et forêt, un maillon prometteur est l’agroforesterie. Y-a-t-il une démarche analogue à l’agro-écologie dans le secteur forestier ? Même si l’on peut avoir des débats sur les monocultures, la sylviculture est une écosylviculture par essence. Il nous faut la conforter et la remettre en question aussi.
Quelques mots sur les enjeux de l’INRA en matière de recherche forestière ?
P. M. : Chaque département de l’INRA a établi sa feuille de route pour les 5 prochaines années. C’est notamment le cas pour le département « Écologie des forêts, prairies et milieux aquatiques », qui regroupe l’essentiel des agents de l’institut qui travaillent sur l’objet forêt. Il s’agit d’identifier les priorités en termes de recherche et les évolutions attendues du dispositif, y compris en terme de partenariats. Ces documents seront présentés à nos partenaires dans les prochaines semaines.
Entretien réalisé par Chrystelle Carroy/Forestopic
Acronymes :
CNRS : Centre national de la recherche scientifique.
FCBA : Institut technologique Forêt cellulose bois-construction ameublement.
CNPF-IDF : Centre national de la propriété forestière-Institut pour le développement forestier.
MAAF : ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt.
INRA : Institut national de la recherche agronomique.
Irstea : Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture.
ONF : Office national des forêts.
R&D : recherche et développement.