Changement climatique: couper plus ou couper moins de bois, la forêt française devra faire le bon pari

L’INRA et l’IGN ont étudié trois scénarios de gestion forestière à l’horizon 2050
L’INRA et l’IGN ont étudié trois scénarios de gestion forestière à l’horizon 2050 (photo François Delaunay/Forestopic)
Changement climatique: couper plus ou couper moins de bois, la forêt française devra faire le bon pari

Une étude de l’INRA et de l’IGN confirme le rôle majeur de la forêt pour le climat. Entre abandon et intensification de l’exploitation, les simulations des scénarios explorés ne disqualifient aucune stratégie.

 

Les 16 millions d’hectares de la forêt française métropolitaine captent chaque année l’équivalent de 88 millions de tonnes de CO2 par an. S’ajoutent les émissions de carbone évitées par l’usage du bois, évaluées à 42 millions de tonnes de CO2 par an. Au total, la filière forêt-bois neutralise environ 20 % des émissions carbonées de la France.

La forêt et sa filière peuvent-elle mieux faire à l’horizon 2050 pour l’atténuation du changement climatique ? Telle est, en substance, la demande faite en mars 2015 par le ministère de l’Agriculture. L’INRA et l’IGN se sont associés pour y répondre et ont présenté leurs résultats le 27 juin 2017, à Paris.

Véronique Borzeix, sous-directrice des filières forêt-bois, a souligné en introduction :

« C’est la première étude adaptée à la filière française qui est constituée essentiellement de feuillus. »

La forêt dans le débat européen

L’équipe interdisciplinaire de 23 chercheurs coordonnée par Jean-François Dhôte, directeur de recherches à l’INRA, a présenté plusieurs scénarios d’ici à 2050, dont un dernier dit « Intensification avec plan de reboisement » qui n’était pas envisagé dans le rapport intermédiaire de juin 2016. Cette trajectoire correspond peu ou prou au dimensionnement du programme national de la forêt et du bois 2016-2026 (PNFB) qui prévoit de porter à 65 % le taux de prélèvement de la production biologique.

Les travaux des chercheurs auront sans doute une incidence politique pour étayer la position française dans les discussions européennes sur la mise en actes de l’accord de Paris sur le climat. Notamment, le Parlement européen rediscute les règles de comptabilisation des émissions et d’absorption des gaz à effet de serre de la forêt (règlement UE n° 525/2013).

Trois scénarios de politique forestière

« Les scénarios sont volontairement contrastés », prévient d’entrée le chercheur Jean-François Dhôte.

Le premier scénario appelé « Extensification » se caractérise par un allègement des prélèvements de bois, qui seraient ramenés de 50 % de l’accroissement biologique aujourd’hui à 37 % en 2050. Il répondrait à la pression sociale pour une plus grande « naturalité » des espaces forestiers, signant un déclin de la filière forêt-bois.

Le deuxième scénario dit « Dynamiques territoriales » s’appuie sur une diversification régionale plus marquée, avec néanmoins une tendance générale à privilégier le bois énergie. Le taux de prélèvement de 50 % serait constant sur la période envisagée, ce qui compte tenu de l’accroissement des peuplements et des stocks sur pied aboutirait à une récolte annuelle de l’ordre de 75 millions de m3.

Le troisième « Intensification avec plan de reboisement » conduirait à un taux de prélèvement de 70 % dès 2035, avec une stabilisation de l’intensité de la récolte pour les décennies suivantes. Il passe notamment par une remise en gestion des forêts de montagne. La production de bois, qui n’est pas précisée dans le rapport, serait d’environ 105 millions de m3. Ce scénario suppose un plan de reboisement de 500 000 hectares sur 10 ans pour « remplacer » les boisements actuels par des essences (résineuses) à fort potentiel de production (10 tonnes de bois par an et par hectare et donc plus à forte capacité de séquestration de carbone).

Le verdict de Margot, le modèle de calcul de l’IGN, est sans appel ; l’intensification des prélèvements réduit le puits de carbone de la forêt. Les scientifiques expliquent cette tendance par les coupes rases préalables au plan d’amélioration des boisements. Après une décennie de fort déstockage et un puits de carbone qui chuterait à moins de 40 Mt CO2 par an, celui-ci remonterait et se stabiliserait à un niveau d’environ 55 Mt CO2/an.

Le bois, un autre puits de carbone

Le stockage du carbone dans les produits du bois, et les émissions de gaz à effet de serre (GES) ainsi évitées, constituent le second puits de carbone à prendre en considération pour évaluer le rôle de la filière forêt-bois dans l’atténuation du changement climatique. Les simulations indiquent que la valeur de ce second puits de carbone varie presque du simple au double selon les scénarios considérés, d’environ 36 Mt CO2/an en 2050 (scénario 1 « extensification ») à 60 Mt CO2/an (scénario 3 « intensification »).

L’évaluation de ce deuxième puits de carbone reste, toutefois, sensible aux coefficients de substitution bois matériaux et bois énergie qui sont appliqués. Les auteurs ont basé leurs calculs sur les valeurs moyennes fournies par la littérature scientifique (voir le rapport intermédiaire de juin 2016). Ces valeurs mériteront d’être confirmées par des analyses de cycle de vie (ACV) pour être reconnues au niveau international.

L’évaluation du rôle de puits de carbone des produits bois varie fortement selon les scénarios
Le rôle de puits de carbone des produits issus du bois varie selon les scénarios (photo: droits réservés)

Changement climatique : des niveaux de vulnérabilité inégaux

Les scientifiques ont aussi testé la résilience des peuplements forestiers face à la dégradation du climat. Pour cela, ils ont retenu la projection la plus pessimiste du GIEC*. Les réponses des boisements des trois scénarios ont été simulées pour diverses catastrophes naturelles – incendies après sécheresse, tempête suivie de pullulations de scolytes, invasions biologiques. L’intensité des calamités a été calibrée sur la base des évènements survenus en France durant les 20 dernières années.

Le modèle GO+ de l’unité mixte de recherche « Interactions sol plante atmosphère » (ISPA) de Bordeaux a été mobilisé. Il en ressort qu’un climat dégradé serait plus préjudiciable aux vielles forêts du scénario 1 « extensification »» qu’à celles rajeunies du scénario 3 « intensification ».

Le temps long de la gestion forestière

Les auteurs mettent en avant les incertitudes qui pèsent sur certains des paramètres clés. Aussi, ils s’abstiennent de classer les scénarios de gestion forestière en fonction de leur bilan carbone à l’horizon 2050. Néanmoins, il est tentant d’effectuer les additions. Selon les chiffres présentés par l’étude, le cumul des deux puits de carbone forêt et bois évalués dans le contexte d’un climat dégradé donnerait en 2050 les valeurs suivantes :
– scénario 1 « extensification » : 136,5 Mt CO2/an ;
– scénario 2 « dynamiques territoriales » : 121 Mt CO2/an ;
– scénario 3 « intensification et reboisement » : 110 Mt CO2/an.

Puits de carbone forêt et bois 2016-2050

Cumul des puits de carbone de la forêt et des produits bois, selon les trois scénarios testés pour la période 2016-2050 dans l’hypothèse d’un climat dégradé. Infographie Forestopic. Source des données: INRA-IGN 2017.


Cette hiérarchie établie pour 2050 serait cependant probablement inversée en 2100. À cette échéance, le puits de carbone des vieilles forêts sera sans doute en voie de se tarir, alors que celui de la « nouvelle forêt » fonctionnerait à plein régime. Autant dire que pour la filière forestière française, l’échéance 2050 arriverait trop tôt. Ce qui fait ressortir l’intérêt de faire partager sa vision du temps long aux parties prenantes et aux décisionnaires des politiques forestières, au sein d’une société de moins en moins patiente.

La société de 2050 consommera-t-elle plus de bois ?

Les scientifiques mettent, de plus, en lumière les freins économiques au développement des produits en bois ou à base de bois, en tant que puits de carbone hors forêt. L’analyse menée à l’aide d’un modèle FFSM (French Forest Sector Model) du laboratoire d’économie forestière de Nancy montre que les structures actuelles de la filière industrielle du bois et de la consommation française de bois ne permettent pas, en l’état, d’absorber les volumes de bois produits en forêt, ni dans le cas du scénario 3 « intensification », ni même, dans une moindre mesure, dans celui du scénario 2 « dynamiques territoriales ».

La construction bois ne serait pas nécessairement capable d’absorber tant de volumes de bois produits. Le bois énergie, en raison d’un coefficient de substitution par définition limité, ne saurait assurer le fonctionnement de ce deuxième puits de carbone. La chimie du bois et le développement des matériaux biosourcés dont la durée de stockage serait suffisamment longue pourraient absorber les grandes quantités de bois de la « nouvelle forêt » française durant tout le XXIe siècle.

François Delaunay/Forestopic

Sur le même sujet : Canopée et Fern prennent le contrepied de l’Inrae et de l’IGN sur la forêt et le climat en 2050

* GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

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