Financer la forêt avec des quotas carbone, sécuriser les missions d’intérêt général de l’Office national des forêts, rapprocher les forêts publiques et privées, sont des pistes proposées par Anne-Catherine Loisier, présidente du groupe forêt-bois du Sénat.
Si la forêt et le bois sont une priorité des politiques publiques pour édifier une société « bas carbone », voire neutre en carbone d’ici à 2050, que l’État se donne les moyens de ses ambitions. C’est le sens d’un rapport d’information que vient de publier, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, Anne-Catherine Loisier, sénatrice de Côte-d’Or et présidente du groupe d’études « forêt et filière bois » de la Haute Assemblée. Le document se concentre sur la situation et les perspectives de l’Office national des forêts (ONF) et appelle, en même temps, à une « réforme forestière globale », en faisant de l’Office le garant de la politique forestière nationale.
Financer la forêt avec des quotas carbone et autres incitations fiscales
Les missions d’intérêt général de l’ONF et la multifonctionnalité des forêts gérées durablement (« incontournable pour une exploitation de la forêt “acceptée” par les populations ») ont un coût. Pour les financer, le rapport propose de faire appel à des paiements pour services environnementaux, des quotas de carbone ou autres incitations fiscales. Ce serait une façon de reconnaître, de rétribuer, les aménités de la forêt ou services écosystémiques (absorption du carbone, protection de la ressource en eau, biodiversité, accueil du public…). Anne-Catherine Loisier fait par ailleurs partie des parlementaires favorables au versement d’une partie de la taxe carbone au secteur forestier, quoiqu’elle juge aujourd’hui cette piste limitée.
France Stratégie (ex-Centre d’analyse stratégique, relevant du du Premier ministre) chiffre à 970 euros par hectare et par an la valeur moyenne des écosystèmes forestiers de France métropolitaine, y compris environ 100 euros pour la production de bois, d’après un rapport daté de 2009. Cette valeur varie en fonction de la fréquentation récréative ou touristique, ou du mode de gestion des lieux.
Appliquer le modèle de Société forestière à l’ONF ?
Pourquoi l’ONF n’afficherait-il pas une dynamique financière digne de Société forestière ? Les forêts gérées par la filiale de Caisse des dépôts rapportent près de 100 euros par hectare et par an, soit 2 % de rentabilité, relève le rapport sénatorial, tandis que la valeur moyenne des parcelles s’établit à 4 000 euros l’hectare. Appliqué aux forêts domaniales, ce ratio gonflerait les résultats de l’Office à hauteur de 200 millions d’euros supplémentaires par an. Mais, ce modèle fonctionne grâce à l’exploitation de forêts productives, souvent des massifs de résineux, aisément accessibles, ce qui n’est pas représentatif des forêts publiques, tranche le rapport sénatorial.
Le bois paie la forêt, un modèle inopérant
Si les sénateurs ne jettent pas la pierre à l’ONF, ils n’éludent pas son endettement chronique ni son déficit récurrent, malgré les restructurations de ces 20 dernières années, qui se sont soldées par des compressions d’effectifs et une « intensification des coupes de bois ».
« En 50 ans, la récolte de bois dans les forêts domaniales a augmenté de 35 % mais la recette correspondant à cette récolte a baissé de 30 % »,
Autrement dit, le modèle économique selon lequel « le bois paie la gestion forestière » n’est pas probant, qui plus est quand les cours du bois s’affaissent. La nécessité d’une refondation se fait sentir. Dans la même veine que le manifeste des communes forestières, Anne-Catherine Loisier préconise de redéfinir les missions de l’ONF, en distinguant ses fonctions régaliennes d’intérêt général de ses activités concurrentielles « mobilisables au cas par cas ». Les sénateurs invitent, de plus, à mieux associer, dans la gouvernance forestière, les communes propriétaires de forêts.
« La maturité de la filière bois énergie en dehors de l’ONF pourrait justifier la cession des filiales de ce secteur », estime Anne-Catherine Loisier en référence à ONF Énergie en particulier qui, observe-t-elle, a accompli sa mission de structurer une nouvelle filière.
Sur ce point, David Caillouel, président du Syndicat des exploitants de la filière bois (SEFB) semble du même avis, par ailleurs. Dans une tribune publiée par L’Opinion, il plaide pour un retour de l’ONF à ses « fondamentaux », considérant que l’opérateur public « n’a ni la culture entrepreneuriale nécessaire, ni les ressources humaines suffisantes ou adaptées » pour des activités relevant du domaine privé (« régie et gestion forestière ou encore bois énergie »). Gérard Napias, président de la Fédération des entrepreneurs des territoires (FNEDT), souhaite lui aussi que l’ONF cesse d’organiser des chantiers.
Faut-il suivre l’exemple allemand ?
Le rapport sénatorial sur l’ONF jette un regard outre-Rhin. Il suggère de suivre l’exemple allemand de cogestion forestière public-privé. Pour le reste, la France doit-elle s’inspirer d’un modèle où « avec une forêt 50 % moins étendue que la nôtre, l’Allemagne produit deux fois plus de sciages », et développer des monocultures forestières ? Non, répond Anne-Catherine Loisier. Car les peuplements forestiers allemands se constituent aux deux tiers de résineux, quand ceux de France comportent deux tiers de feuillus, avec une essence de haute valeur – le chêne – et un nombre d’essences plus élevé, source de biodiversité. Sur la question, la sénatrice conclut : « Les forestiers doivent certes adapter leur production aux besoins des marchés, mais les industriels doivent également investir dans de nouveaux procédés pour utiliser les essences existantes. »
Rapprocher les forêts publiques et privées
Dans les territoires, la sénatrice soutient une gestion par massif forestier et par projet. Les documents de gestion forestière, publics comme privés, pourraient gagner en cohérence. Anne-Catherine Loisier fait part toutefois d’« une certaine méfiance des propriétaires privés à l’égard de nouvelles contraintes assorties d’éventuels contrôles ».
En l’idée d’un rapprochement de forêts publiques et privées, Stéphane Le Foll, avait vu, lorsqu’il était ministre de l’Agriculture, une opportunité de regrouper l’offre de bois. Cet objectif est aussi celui de pratiques existantes, par exemple des groupements formés pour répondre à des appels d’offres.
L’impôt contre le morcellement des propriétés forestières ?
Michel Raison, sénateur de la Haute-Saône, vient d’annoncer, devant la commission des affaires économiques du Sénat : « Je proposerai dans le cadre du projet de loi de finances, pour lutter contre le morcellement de la forêt privée, de prélever l’impôt sur toutes les parcelles en regroupant les années dues et non réclamées par l’administration quand il s’agit de sommes inférieures à un certain seuil. »
À l’occasion du rapport sur l’ONF, ont été auditionnées une quarantaine de parties prenantes*. À l’instar de la fédération des communes forestières FNCOFOR, les sénateurs appellent à co-construire une réflexion nationale avec les différentes parties prenantes.
C. C./Forestopic
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* Les personnes auditionnées relèvent des ministères français de l’Agriculture (DGPE), de la Transition écologique et solidaire, et de celui de l’Action et des Comptes publics, de l’ONF et de ses syndicats de personnel, de la Fédération nationale du bois (FNB), de la FNCOFOR, de France Nature Environnement (FNE) et de la mission d’évaluation du contrat d’objectifs et de performance (COP) 2016-2020 de l’ONF.