Instruments de musique à vent: comment le bois fait le son

Hautbois réalisés par le facteur Bruno Salenson (crédit photo: Forestopic)
Hautbois réalisés par le facteur Bruno Salenson (crédit photo: Forestopic)
Instruments de musique à vent: comment le bois fait le son

Lorsqu’un instrument à vent se compose de bois, le son produit varie-t-il selon les essences ? Les dernières avancées scientifiques vont dans le même sens que les dires des facteurs.

 

Un instrument à vent en bois offre-t-il les mêmes sonorités selon qu’il se compose de poirier, de buis ou d’une autre essence ? Les dernières avancées scientifiques sont susceptibles de venir confirmer le vécu des facteurs qui produisent ces instruments.

L’influence du bois ne fait pas de doute dans le cas des instruments à cordes dotés d’une table d’harmonie. Elle reste controversée pour les instruments à vent.

Ce qui façonne alors le son, c’est d’abord la forme de l’instrument. Ce qu’explique Sandie Le Conte, ingénieur de recherche au musée de la Musique (Philharmonie de Paris) :

« Dans un instrument à vent, ce qui influe sur le son, sur le rayonnement acoustique, c’est la géométrie de la colonne d’air que l’on met en vibration en soufflant dans l’instrument. La position des trous a un impact sur cette géométrie. De plus, que cette colonne d’air soit cylindrique, à l’instar des flûtes ou des clarinettes, ou conique, comme dans le hautbois, va favoriser certaines harmoniques par rapport à d’autres. Cela dépend aussi si les deux extrémités sont ouvertes ou si une anche vient fermer l’une d’elles. »

Surface intérieure, bois lisse ou rugueux

Au-delà de ces fondamentaux, des subtilités semblent différencier les essences. Les facteurs d’instruments à vent peuvent se montrer diserts sur le sujet. Par exemple, ceux qui ont participé à l’édition 2015 de Zin Zan, festival de « musiques des pays d’Oc du 3e millénaire » et qui se tient, cette année, du 26 au 28 août 2016 à Saint-Étienne-du-Grès (Bouches-du-Rhône), Bruno Salenson, Lucas Fovet et Joaquin Tisserand. Ou d’autres, comme Philippe Bolton.

Bruno Salenson fabrique et répare des hautbois languedociens, fifres, bassons, depuis bientôt 40 ans. Il a recours au buis, issu de sa région, à du poirier sauvage acheté en Suisse, ou encore à de l’érable ondé provenant des Hautes-Alpes. Selon lui :

« Dans l’instrument à vent, le bois a moins d’influence que dans un instrument à cordes. Mais par exemple, le poirier, avec sa surface intérieure lisse, donne un son plus clair qu’un bois à l’intérieur rugueux. »

Lucas Fovet et Joaquin Tisserand, tous deux formés par Jeff Barbe, confectionnent des flûtes à perce naturelle ; autrement dit, ils optent pour des matériaux naturellement creux, tels que bois de branches de sureau, ou d’autres matériaux ligneux, bambou ou roseau de Provence (Arundo donax).

« Une surface intérieure lisse engendre un son très net. Si elle est rugueuse, le son est moins pur »,

estime, lui aussi, Joaquin Tisserand, facteur de flûtes à encoches (quenas…), flûtes à bec et autres didgeridoos.

« Chaque pièce de bambou est une découverte. Une flûte traversière à six trous ne donnera pas le même son, selon qu’elle provienne d’un bambou jeune, vieux ou mort sur pied. Dans ce dernier cas, le son est souvent plus léger, plus venteux »,

affirme Lucas Fovet, facteur spécialisé dans les flûtes telles que kavals, gasbas, ou saxoflûtes.

L’huile pour sublimer le bois

L’usage de l’huile a aussi son rôle à jouer. Les anecdotes sont nombreuses sur la façon dont l’huile peut sublimer le son d’un instrument à vent en bois.

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Philippe Bolton est facteur de flûtes à bec en bois de buis, poirier ou cerisier. Il relate :

« Lors d’un stage sur l’acoustique que j’ai co-animé au conservatoire de Poitiers, un instrument en érable a été présenté. Toutes les personnes présentes ont pu constater que c’était un mauvais instrument. L’érable, poreux, peut comporter des microfuites ayant une incidence sur la colonne d’air. Nous avons ensuite empli l’instrument d’huile d’amande douce, puis ôté l’huile, avant d’y faire à nouveau circuler l’air. Le même instrument était devenu une merveille. On peut imaginer que l’huile remplit les pores et revient à rendre le bois moins poreux. »

Le bois et son grain plus ou moins fin

Ces constats font écho aux observations de Bernard Blanc. Ce facteur de cornemuses a testé, en lien avec un laboratoire d’acoustique musicale, quatre cornemuses identiques, ne différant que par leur bois, soit l’ébène, du Mozambique et du Gabon, le buis européen, le cormier. L’ingénieur forestier Jean-Marie Ballu en fait état dans son livre Bois de musique. La forêt berceau de l’harmonie (Éditions du Gerfaut, 2004). Il en conclut :

« Le timbre est donc bien sous l’influence du bois mais peut-être plus sous celle de la finesse de son grain que de sa densité, c’est-à-dire de l’état de surface interne de la perce. Il est d’ailleurs connu que la puissance sonore augmente par huilage ou trempage. »

Une description scientifique qui entre dans le détail

Alors que retenir ? Stéphane Vaiedelich, responsable du laboratoire du musée de la Musique, tient une explication :

« Les modèles scientifiques numériques acoustiques conventionnels ne prennent pas en compte les phénomènes de second ordre. Or, ceux-ci peuvent se révéler importants dans le chant d’un instrument de musique. Grâce à une description plus fine, nous sommes désormais en mesure d’entrer dans ces détails. Dans ce cadre, nous voyons apparaître l’influence du matériau. »

La porosité des bois est au centre des recherches menées par Henri Boutin au musée de la Musique, en partenariat avec l’équipe « lutheries acoustique musique » (LAM) de l’Institut Jean le Rond d’Alembert (Université Pierre et Marie Curie/CNRS), et avec des financements du programme Convergence@Sorbonne Universités/Idex. Une publication scientifique est en préparation. Le sujet doit être abordé à Barcelone, lors d’un colloque organisé du 7 au 9 septembre 2016 par Woodmusick – le programme Woodmusick, présidé par Sandie Le Conte, dédié aux instruments de musique en bois, entre dans le cadre de la coopération européenne sur la science et la technologie (COST).

Les chercheurs ont étudié différentes essences utilisées pour fabriquer des instruments à vent, ainsi que l’ébène qui est désormais une espèce protégée. Comme sources d’information, ils disposent de plusieurs siècles d’histoire grâce aux collections du musée la Musique. De plus, ils font intervenir des facteurs – dont Bruno Salenson et Philippe Bolton.

De la porosité du bois

Stéphane Vaiedelich nous livre de premiers éléments :

« Les différentes essences présentent leurs caractéristiques propres en termes de porosité, de perméabilité au passage de l’air. Nous avons mis en évidence de manière scientifique que des phénomènes de pertes, liés au matériau, permettent de comprendre certains gestes des facteurs au sein d’un paysage musical donné. Ainsi, comment expliquer que le bois soit enduit avec de l’huile. La porosité du matériau est aussi à étudier en fonction du couple instrument-instrumentiste. »

Le bois ne nous a peut-être pas encore dévoilé tous ses secrets. Et si ce matériau fait chanter les instruments à vent, il reste un paramètre, et non des moindres, le jeu du musicien.

Chrystelle Carroy/Forestopic

Mis à jour le 28 octobre 2016

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