« Vouloir continuer de financer la multifonctionnalité forestière par la seule production et vente du bois est une fiction »
« Vouloir continuer de financer la multifonctionnalité forestière par la seule production et vente du bois est une fiction » (photo: droits réservés)

Le monde forestier français: crise, léthargie durable ou envol radieux? Trois pistes d’action

 

L’économie forestière semble peu évoluer depuis 25 ans. Les plans et les rapports se succèdent. Les changements climatiques dessinent un présent et un futur incertains. Une situation dont on ne peut se satisfaire.

Forestopic parle (et fort bien !) de forêt, la presse et les médias parlent de forêt, les Français, en masse, achètent des livres et vont voir des films qui parlent de forêt.

La forêt est tendance, tout le monde ou presque a un avis sur la forêt, notre société est dingue des arbres (dixit la directrice d’AgroParisTech-Nancy Meriem Fournier ici même). Mais, au-delà, comment vont vraiment la forêt et les forestiers ? Question de points de vue et il n’en manque pas.

La forêt en habit de crise

La forêt s’étend, grandit, pousse et grossit, dira l’un ; elle va donc bien. Pas du tout, dira l’autre, le bois s’y accumule, elle vieillit, ne se renouvelle pas, est sous-exploitée ; donc elle va mal. Peu importe dira le troisième, de toute façon ce qu’elle contient ne correspond pas à mes besoins : « Coupez-moi un peu, beaucoup, tout ça, et replantez plutôt à la place ce que je voudrais y trouver. »

Puis, des chœurs entament à leur tour le grand air des week-ends : « Marchons, marchons, nous voulons du bois à la maison, mais pas voir trace d’arbre coupé quand on se promène, des saucisses à l’auberge mais pas de cochons à l’horizon. » Rajoutons à cela les crises écologiques, économiques et climatiques, présentes et à venir, et les dégâts de gibier pour faire bonne mesure. Il faut en vouloir pour garder la foi du forestier !

Économie forestière : le grand méchant mou

Coté économique, s’agissant de forêt, il demeure intéressant de regarder le long terme. Les indicateurs de gestion durable des forêts (IGN 2015) nous montrent une évolution que je qualifierais de têtue : la baisse progressive et continue de la part de l’économie forestière dans l’économie de la nation. Depuis 1970, la valeur totale des bois sortis des forêts rapportée au produit intérieur brut total de la France a été divisée par cinq, alors que dans le même temps la récolte totale en volume est restée constante.

Il faut noter que ce que l’on compte, ici, est la valeur commerciale des bois exploités. Est-ce la seule et bonne façon de mesurer et rémunérer la contribution de la forêt et des forestiers à notre économie et au bien commun ?

Une courbe plate dans une fanfare de rapports

Nous sommes face à un paradoxe historique. La forêt croît en surface et en volume de bois produit. La bois est, sous certaines conditions de gestion et non des moindres, une ressource de qualité, renouvelable et ne dépendant pas des énergies fossiles carbonées : une sorte de Graal en ces temps de crise et de transition. Et pourtant, nous avons devant nous l’image statistique globale, sans doute fausse dans le détail, d’une économie forestière un peu hors du temps et au total sensiblement égale à elle-même depuis 25 ans.

Une économie qui serait seulement affectée par des réallocations internes entre les type de bois utilisés (résineux ou feuillus) et les usages (bois d’œuvre, bois d’industrie, bois énergie). Curieusement, ou ironiquement, cette atonie, cette courbe plate, se trace au milieu d’un concert continu de fanfares médiatiques, passant d’un rapport à un autre, d’une loi forêt à une autre et d’un plan forêt-bois à un autre, le tout ponctué par des discours volontaristes et optimistes : « Cela n’allait pas, cela va changer, à partir de maintenant le bois va avancer. »

Le bois n’avance ni ne recule !

Eh bien non, si j’en crois les statistiques, le bois n’avance, ni ne recule ! Le bois ne bouge pas ! Faut-il se faire donc à l’idée d’une gestion durable au sens où demain serait comme aujourd’hui, qui est déjà comme hier ? Léthargie qui n’empêcherait pas, au café du commerce, dans les médias et sur les tribunes, de continuer à se raconter des histoires de forêts et d’arbres à se faire peur, plaisir ou dormir debout selon les goûts de chacun.

Forêt-bois : trois pistes de réflexion et d’action

De mon point de vue, il n’est pas possible de se satisfaire de la situation. Je propose, ici, trois pistes de réflexion et d’action.

  1. Construire un récit partagé sur le sujet « forêt et changements climatiques »

Les connaissances scientifiques disponibles sur les impacts des changements climatiques dessinent un futur complexe et incertain, en rupture historique radicale avec l’histoire et l’expérience forestière, qui rend indispensable l’intégration culturelle de ce nouveau contexte, soit un partage large des savoirs et modes d’action.

  1. Mettre enfin les mains dans le chantier de la valeur dans l’économie forestière : sa nature, sa création et son partage

Vouloir, moyennant quelques bricolages, continuer de financer les exigences toujours plus fortes, nombreuses et complexes de la multifonctionnalité forestière par la seule production et vente du bois est une fiction. Et qui, de plus, place les forestiers dans des contradictions ingérables entre les exigences de la production et celles du reste de la multifonctionnalité.

  1. Repenser et refonder les relations forêt-forestiers-société

La relation entre la forêt et la société s’est historiquement construite dans le contexte de sociétés rurales aujourd’hui disparues. Dans le monde actuel, néo-rural comme métropolisé, les présupposés culturels anciens en représentations, attentes et cadres relationnels, sont dorénavant le plus souvent obsolètes, inefficients et sources de méprises et d’incompréhension.

Nous sommes certes ici loin de l’action concrète en forêt. Dans un monde pressé où l’efficacité à court terme est la norme, est-ce futile de passer du temps à se poser ce genre de questions ? Il y a un consensus pour constater des blocages persistants, et peut-être-même croissants, qui empêchent aujourd’hui une pleine participation de la forêt et des forestiers au bien commun, lequel bien commun inclut évidement le bien pour la forêt et les forestiers eux-mêmes.

Il importe à mon sens de se demander si ces blocages ont significativement pour origine et source continue des réponses inadaptées et une insuffisante prise en compte des trois enjeux identifiés plus haut.

Si c’est le cas, et j’ai tendance à le penser, alors non seulement il n’est pas inutile de s’y pencher, mais c’est peut-être une des conditions nécessaires pour contribuer à débloquer la situation. Après 30 ans de rapports et de projets, si cela ne coûte pas trop cher de s’y pencher et s’il existe des bonnes volontés pour le faire ensemble, pourquoi s’en priver ?

Hervé Le Bouler, forestier

Sur le même sujet dans L’Agora : Sommets sur le climat: donnons à la forêt les moyens de nos ambitions, par Antoine d’Amécourt



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Rubrique humoristique et satirique de la forêt et du bois


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