Qu’il en sorte des mythes ou qu’il en sorte du bois, la forêt inspire les artistes. Le musée Zadkine la met en scène, au fil d’une centaine d’œuvres réalisées entre la fin du XIXe et ce début de XXIe siècle.
Le rêveur de la forêt, c’est une forêt de peintures, de sculptures et de vidéos d’inspiration sylvestre. Cette exposition se tient au musée Zadkine à Paris, du 27 septembre 2019 au 23 février 2020. Le musée-atelier consacré au sculpteur d’origine russe Ossip Zadkine (1888-1967) propose un parcours en trois temps, la lisière, la genèse et le bois sacré, bois dormant.
L’art brut, le surréalisme, à la rencontre de la forêt
Les œuvres d’Ossip Zadkine y voisinent avec celles d’André Derain, Auguste Rodin, Pablo Picasso, Max Ernst, Séraphine de Senlis ou Éva Jospin, parmi une quarantaine d’artistes représentés. Au fil des courants artistiques de l’art brut ou du surréalisme, la forêt insuffle la création, tandis que le bois offre un matériau dans lequel sont taillées nombre de sculptures.
Cette déambulation bouscule nos repères, en ce qu’elle hybride le féminin et le masculin, le règne animal et le végétal, la pourriture et la vie qui en émerge, la destruction et la création. Des arbres se muent en formes humaines. Des figurations humaines se végétalisent. Au sein de cette dynamique, Christophe Berdaguer et Marie Péjus ont créé des sculptures à partir de tests psychologiques du dessin d’arbre, réalisés par de jeunes adultes en hôpitaux psychiatriques.
La forêt fait naître le mouvement, comme celui de la sculpture de Jean Arp Feuille se reposant, autant que la force d’apparence immobile, telle celle d’Arbre, une pièce sculptée en bois de conifère, prêtée par le musée de Villeneuve d’Ascq. Cet Arbre est signé de Theo Wiesen, « un scieur qui mettait sur le long de la route, dans le Nord près de Lille, des totems en bois et colorés à échelle monumentale », relate Noëlle Chabert, directrice du musée Zadkine et co-commissaire de l’exposition.
Se diluent aussi la présence et l’absence. En effet, Ossip Zadkine a réalisé un rêveur de la forêt, qui n’apparaît pas dans l’exposition, comme l’évoque Noëlle Chabert.
De la forêt mythologique à la forêt gérée
L’effacement des antagonismes, c’est aussi le silence émanant de certaines œuvres qui résonne avec les deux installations phoniques peuplant l’exposition. D’une part, des « animaux sonores » invisibles interagissent avec le public dans Biotope, une composition acousmatique de Jean-Luc Hervé, coproduite par l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) et le Centre Pompidou. D’autre part, dans La Forêt des gestes, Ariane Michel évoque les sons du milieu forestier, recréés avec des objets du quotidien. Au sujet de cette seconde création, Jeanne Brun, directrice du fonds d’art contemporain de Paris et co-commissaire de l’exposition, commente :
« L’œuvre note l’ambivalence qui signe la présence de la forêt dans notre imaginaire collectif – la façon que nous avons de reconnaître le bruit de la chouette ou de la grenouille – et le fait que ce son soit créé de façon artificielle. Elle pose la question de l’existence de la forêt pour nous, constitutive de nos histoires d’enfants, de nos vies d’adultes, de nos désirs de retrouver la nature. Est-ce que c’est encore la forêt de Zadkine, c’est-à-dire un rapport quotidien, consubstantiel, ou est-il déjà construit par l’artifice, les images que nous en avons qui ne sont pas aussi directes ? »
Le rêveur de la forêt parcourt aussi bien la forêt mythologique, que la forêt gérée par l’homme. Le photographe Patrick Bard partage ainsi le fruit d’une résidence d’un an, au gré des saisons, dans la forêt privée du Bois Landry (Centre-Val-de-Loire), et dont il a tiré un livre, Promenons-nous dans le bois (éditions Imogene, 2018).
La capacité créatrice de la forêt
« Le sculpteur est un ordonnateur, il anime les formes et leur conserve le parfum de la forêt. »
C’est l’un des enseignements qu’Ossip Zadkine prodiguait* à ses étudiants, lorsqu’il dirigeait la classe de sculpture à l’Académie de la Grande-Chaumière à Paris, entre 1946 et 1958.
Au final, ce qui semble le plus fasciner les artistes, ce sont la capacité créatrice et la liberté de création qu’ils voient en la forêt, théâtre d’incessantes métamorphoses et des processus de naissance des formes, appelés morphogenèses.
Chrystelle Carroy/Forestopic
* Ionel Jianou, Zadkine, Paris, Arted, Éditions d’art, 1963.